Antoine Carrier est professeur de mathématiques, mais aussi un rappeur connu sous le pseudonyme de A’Rieka. Le concept qu’il a inventé est un véritable succès sur les réseaux sociaux : plus de 22 000 abonnés à la chaîne YouTube, 215 000 abonnés sur TikTok et des vidéos totalisant plusieurs millions de vues. Et tout cela pour des mathématiques !
Professeur depuis 12 ans, un pied dans le rap depuis 10 ans, le concept n’est pas apparu comme une évidence ! C’est en 2021 qu’un animateur d’une MJC de Blanquefort (33), Jérôme Avril, m’a soumis une idée. Je savais que les maths et le rap avaient déjà été associés sur quelques projets, et je ne voyais pas l’intérêt de refaire ce qui avait déjà été fait. Cependant l’idée trottait dans ma tête... Il fallait ajouter une dimension pédagogique pour que la chanson ait un intérêt, c’est en ce sens que le concept des « Rapémathiques » est apparu avec une chaîne YouTube. Des textes qui illustrent des situations et des exemples concrets, des méthodes plus que des propriétés à réviser, des refrains avec des notions importantes à assimiler, une musique légère qui laisse la place au rap, un flow parfois chantant pour ne choquer l’oreille de personne et un clip devant le tableau de ma classe pour illustrer le tout. Le projet était né.
Il y avait un objectif à tout ça. Je voyais l’engouement de certains élèves pour les révisions tendre à disparaître, progressivement. Ouvrir un cahier devenait un effort, et cela même dans mon propre établissement qui n’est pas considéré comme un collège difficile. Quand on demande à un élève si il a travaillé pour son évaluation et que celui-ci nous répond « Trop la flemme », on se dit qu’il faut faire quelque chose.
Alors je me suis dit qu’en écoutant une chanson pour réviser, au lieu d’ouvrir un cahier pour relire une leçon ou refaire des exercices, ils auraient peut-être un peu moins de mal (et un peu plus envie, ça va ensemble) à replonger dans un chapitre de mathématiques.
J’ai donc écrit quelques chansons, en privilégiant, dans un premier temps, celles qui pourraient aider à réviser le brevet. J’en ai enregistré quelques-unes et je les ai fait écouter à mon inspectrice, Madame Duranthon, qui a immédiatement validé le concept (Allez-y, foncez Monsieur Carrier !). Les collègues (qui utilisent désormais les chansons en cours), le chef d’établissement ont tous adhéré à ce concept qui sortait un peu du commun.
Je me suis donc lancé à 100% dans cette aventure et dans la rédaction des 19 chansons de la première saison, avec mon propre matériel (mon studio d’enregistrement, ma caméra et mon ordinateur, matériel que j’essaie de faire évoluer pour avoir un rendu de plus en plus qualitatif).
J’ai donc posté ces vidéos sur YouTube et les réseaux sociaux (pour que tout le monde ait accès à cette nouvelle façon de réviser) et les vidéos ont rencontré un franc succès auprès des collégiens mais aussi des professeurs de mathématiques, ravis de les utiliser en cours (je reçois régulièrement des messages de remerciements de leur part). L’objectif restant d’offrir une nouvelle approche pour favoriser, en priorité, la mise au travail de certains élèves, parfois en décrochage, dédramatiser en vulgarisant cette matière parfois tant sacralisée et pallier le manque de méthodologie.
En effet beaucoup croient que relire une leçon et la connaître par cœur suffit pour réviser un contrôle. En mathématiques non ! Il faut relire certes, comprendre aussi, mais surtout s’entraîner pour savoir refaire des exercices. J’ai donc essayé de construire les chansons dans ce but précis : expliciter les quelques notions importantes et revoir les méthodes classiques de résolution d’exercices, une sorte de fiche de révision type (plutôt qu’une leçon), parfois difficile à concevoir pour un adolescent.
Dans cette fiche de révision, il doit donc y avoir toutes les notions importantes (les définitions, les propriétés mais surtout les méthodes) du chapitre pour que l’élève puisse dans un premier temps les identifier et dans un second se les approprier. Une manière de ranger un peu tout ce qui se mélangeait peut-être dans sa tête. Une carte mentale musicale.
Car il faut le dire, en chanson ça passe mieux. En premier lieu, la musique tend à rendre moins austère cette matière que j’aime tant. Personnellement, je n’ai pas eu besoin de musique, plus jeune, pour m’intéresser aux maths, en revanche, je n’ai jamais autant retenu de mots de vocabulaire de la langue espagnole, qu’en apprenant la chanson « Clandestino » de Manu Chao. Et je comprends donc que certains élèves puissent avoir besoin de ce stimulus pour susciter (ou ressusciter) l’envie de faire des mathématiques. La musique peut débloquer bien des situations, et les élèves ne manquent pas de me le faire savoir ; il y a beaucoup de commentaires sur les réseaux ou ils me disent : « Grâce à vous je comprends tout en 3 minutes » ou encore « Merci, j’ai eu 18 sur 20 en écoutant votre chanson ». J’ai aussi pu le constater chez certains de mes propres élèves, qui avaient certaines lacunes et qui se sont raccrochés peu à peu à la matière en révisant en chanson les notions à côté desquelles ils étaient passé les années précédentes.
De plus, la musique permet de fixer certaines paroles et donc certaines notions. Notamment grâce à la prosodie et au côté répétitif des refrains, qui viennent, comme un leitmotiv, rappeler ce que l’on ne doit surtout pas oublier.
Mais l’atout majeur de la musique, c’est la concentration qu’elle engendre. Lorsque je projette un Rapémathiques en classe, il n’y a aucun bruit, aucune discipline à faire, aucun rappel à l’ordre. La totalité des élèves est concentrée sur le tableau. Au début, parfois, certains élèves se sont montrés un peu réticents à la nouveauté du concept, mais ils sont tous, progressivement, entrés dans le jeu, comme leurs camarades. Et cet atout n’est pas des moindres. Lors de l’écoute d’un Rapémathiques, l’élève ne rêve pas, il ne cherche pas à discuter avec le voisin, il ne passe donc pas à côté de certaines notions, comme cela pourrait peut-être parfois arriver dans une situation d’enseignement plus classique. Et chaque occasion de capter leur attention est une victoire précieuse tant pour l’élève que pour l’enseignant.
Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Car cette concentration se répercute aussi sur le travail personnel. En effet, relire une leçon pendant un quart d’heure ou écouter une chanson de trois minutes ne demande pas le même effort, et l’élève peut ainsi garder ce qui lui reste de motivation, pour travailler ses exercices.
C’est dans ce contexte, que les Rapémathiques doivent être privilégiées : à la maison. En complément du cours habituel. Il n’y a dans ce projet, aucune prétention à remplacer les méthodes classiques, ni aucune vocation à minimiser le travail fait au préalable par le professeur (je rappelle que je suis moi-même professeur). Ce n’est qu’un complément, qui prend tout son sens, lors du travail personnel, lors des révisions, car chez lui l’élève peut s’imprégner de ces clips musicaux.
C’est, à mon sens, la meilleure manière d’apprendre avec un Rapémathiques. En premier lieu, se l’approprier, progressivement, donner du sens aux mathématiques abordées par la chanson, s’imprégner des paroles, des illustrations. Ça peut aller plus ou moins vite pour certains, mais c’est sans importance, à chacun son rythme. Cependant lorsque le texte a bien été compris, une fois que toutes les notions importantes ont bien étés mises en valeur, une fois que les élèves ont assimilé certaines phrases-clés, cette chanson, désormais familière, devient quelque part l’amie avec qui ils révisent et qui peut répondre à leurs questions. Elle les aide à s’exercer, à avancer vers la finalité de l’apprentissage, qui ne change pas : savoir refaire ses exercices (et être capable d’en faire de nouveaux).
Les séances se succèdent, la chanson a normalement été intégrée par l’élève, fatalement arrive le moment de l’évaluation et donc celui des révisions. C’est là que la magie opère, que le côté attractif de la musique révèle tous ses charmes. On réécoute la chanson (avec plaisir, car elle a déjà été assimilée et qu’elle est cette amie sur laquelle on peut compter) et l’on se remémore tout, rapidement. Le côté ludique aidant, tout se passe bien plus vite qu’en relisant une leçon. On récolte directement les fruits du travail effectué au préalable, sans toute la pénibilité de devoir se réapproprier un chapitre. Les réflexes réapparaissent, les exercices-types que l’on a fait reviennent en mémoire et on est prêt à s’exercer, dans de meilleures conditions, car on garde son potentiel de travail pour faire des exercices.. L’utilité même de cette carte mentale musicale.
Il était donc naturel que le livre issu de cette entreprise (feuilletez le livre en ligne !) suive la même direction pédagogique et offre aux Rapémathiques la possibilité de devenir partie prenante du processus didactique. Il fallait qu’il soit un moyen, parmi d’autres, de s’approprier la chanson. Il fallait que chaque chapitre soit une fiche de révision (un rappel des propriétés importantes et un résumé des méthodes à retenir) et non pas une leçon. Il fallait que l’élève (ou le parent qui aide à réviser) arrive à utiliser les Rapémathiques comme il m’arrive de les utiliser en classe.
Chaque chapitre a donc été construit dans cet objectif. Les chansons ont été découpées suivant les principes qu’elles abordent, pour assimiler progressivement et simultanément les notions comme les chansons. Une fois ce travail accompli, le processus de révision d’une évaluation devient plus accessible et attractif, il suffit de réécouter la chanson pour se replonger dans le chapitre qu’elle aborde.
Ce livre est donc en quelque sorte une notice pour que l’élève puisse utiliser, en autonomie, les Rapémathiques de la meilleure façon possible. C’est aussi un résumé de la plupart des méthodes à maîtriser au collège (en mathématiques), agrémenté d’astuces et de petits moyens mnémotechniques. Il ne peut en aucun cas se substituer aux cours d’un professeur, aux précieux conseils qu’il donne, ni à l’apprentissage différencié proposé. Mais il peut être une alternative, une béquille sur laquelle s’appuyer pour avancer, débloquer certaines situations, il peut être une solution pour certains élèves, les aider à progresser, et tout ça en musique.
On m’a souvent demandé de faire des chansons dans d’autres matières : français, anglais , physique-chimie... Évidemment, je ne me sens pas légitime pour écrire dans d’autres disciplines, je suis professeur de Mathématiques ! Alors j’ai trouvé une solution pour faire participer les autres professeurs et surtout pour faire participer les élèves. Les Rapépratiques !!!!!
Les Rapépratiques sont un un projet transdisciplinaire qui consiste à faire rapper des élèves. Ils écrivent les paroles, enregistrent leurs voix et tournent un clip pédagogique eux-mêmes ! Avec mon associé, nous nous occupons évidement des parties création instrumentale, mixage, mastering de la chanson et montage du clip, de la coordination du projet et de la structure de la chanson, mais ce sont les élèves qui font tout le reste !
Alors comment cela se passe-t-il ? Il suffit qu’un professeur de n’importe quelle matière ait une envie de faire une chanson sur un thème particulier, on réfléchit à la viabilité de la chanson, on fixe quatre dates, quatre demi-journées, lors desquelles nous faisons tout d’abord écrire les élèves (lors des deux premières), puis enregistrer et tourner le clip lors des deux dernières. Et cela peut se faire dans tous les collèges, tous les lycées et dans toutes les disciplines. Une belle façon de développer toutes sortes de compétences psychosociales, de découvrir toutes les facettes de la création d’un clip audio-visuel, de créer des liens élèves-professeurs et d’avoir un produit fini, utile pour les révisions de tout élève francophone.
L’association « Rapépratiques » a été validée par le pass culture pro, qui peut donc financer chaque projet via la plate-forme Adage. Des projets NEFLE peuvent aussi être montés pour élaborer plusieurs « rapépratiques » dans un établissement la même année. C’est un projet florissant que l’on est en train de développer pour l’année prochaine (une vingtaine de chansons devraient voir le jour).
Annexe :
Voici quelques liens de rapémathiques :
Et quelques liens rapépratiques :