La science est souvent perçue comme un monstre froid capable d’exorciser l’imaginaire, lui-même présenté comme une scorie encombrante qui viendrait troubler la raison et souiller les meilleures intentions. La réalité est tout autre : l’imaginaire des scientifiques n’est pas une fumée qui viendrait brouiller le jeu, mais un feu qui ouvre de nouvelles pistes.
Pour rendre justice à cette vérité, durant tout l’été 2023, « La conversation scientifique » fait le choix, avec l’aide de ses invité(e)s, de donner un corps radiophonique à la thèse de Gaston Bachelard selon laquelle raison et imagination agissent toujours de conserve. Et même de démontrer qu’Alexandre Vialatte avait eu raison d’écrire dans l’une de ses fameuses chroniques : « L’esprit de l’homme ne cesse de rêver. Mais aussi de méditer, de supputer, de calculer. Il a envie de savoir et besoin de ne pas comprendre. Bref, de connaître et de s’émerveiller. Nécessités contradictoires : l’une exige de savoir et l’autre d’ignorer. D’où la science et la poésie. »
Car oui, ce qui nous passionne, en définitive, ce sont les énigmes. Et justement, l’astrophysique et la cosmologie n’en manquent pas, d’énigmes : l’univers est-il vraiment né ? Si oui, comment ? Et de quoi est-il fait ? Qu’est-ce qui pilote son évolution ? Comment finira-t-il ? Ces mystères sont si prenants que, plutôt que de voir la vie en rose, les astrophysiciens donnent parfois l’impression de broyer du noir : ils parlent de corps noirs, de trous noirs, de matière noire, d’énergie noire… D’où provient cette manie qu’ils ont d’accoler l’adjectif « noir » à des mots par ailleurs ordinaires ? Dans le langage courant, le mot noir sert à dire tantôt l’obscur, le mystérieux, l’effrayant, tantôt le caché, l’inconnu, l’opaque. Mais que veut signifier le physicien lorsqu’il dit d’un corps, d’un milieu, d’un objet ou d’une substance qu’ils sont noirs ? À quelles propriétés la noirceur se réfère-t-elle alors ? À quels symboles renvoie-t-elle ?
On pense là encore à Bachelard : « Au fond de la matière pousse une végétation obscure. Dans la nuit de la matière fleurissent des fleurs noires. Elles ont déjà leur velours et la formule de leur parfum. »
Pour mieux connaître l’imaginaire des astrophysiciens, donnons la parole à l’une d’entre eux (si l’on peut dire).