Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Hip, hip, hip, Houria « Les Maths en Scène » !
Article mis en ligne le 5 décembre 2023
dernière modification le 31 janvier 2024

par Houria Lafrance, Patrick Raffinat

Houria Lafrance, professeure de collège et présidente de l’association « Les Maths En Scène », répond à une interview de MathémaTICE réalisée par Patrick Raffinat.

Dans « l’oreille mathématique » (voir lien), tu dis avoir parfois éprouvé des difficultés dans cette matière en tant qu’élève, tout comme Manu Houdart (voir lien) : lesquelles ? Cela a t-il renforcé ton envie d’enseigner et, au fond, ne serait-ce pas devenu un atout professionnel ?

Étudiante, mon parcours scolaire a été marqué par des défis au collège et au lycée. Au collège, bien que les mathématiques aient été une matière où j’excellais, je faisais face à des difficultés en français et en anglais en raison de ma dysphasie. J’ai dû redoubler ma 5ème, bien que j’aie maintenu une moyenne de 18 en mathématiques, les autres disciplines étaient trop ardues en raison de mon handicap. En première, les difficultés en mathématiques sont réapparues, avec des défis liés à la rédaction de démonstrations et à la communication à l’oral et à l’écrit.

Cependant, ces obstacles et échecs ont joué un rôle déterminant dans mon cheminement, me permettant de progresser. J’ai pris le temps d’analyser mes faiblesses à l’école, transformant ces expériences en opportunités d’apprentissage. Je considère que ces expériences constituent un atout dans ma carrière, car j’aime partager mon parcours avec mes élèves. Je crois fermement que les échecs et les réussites contribuent à forger la personnalité, que l’apprentissage à travers l’erreur est une étape incontournable du parcours éducatif, et que la progression découle souvent des défis rencontrés. Mon parcours se distingue par son caractère atypique.

Tu es présentée dans le magazine « Challenges » comme une « enseignante atypique qui théâtralise les maths » depuis 2009 (voir lien). Avant cela, y avait-il déjà des aspects atypiques dans tes enseignements ? As-tu rencontré des « obstacles institutionnels » ?

J’ai entamé ma carrière d’enseignante contractuelle en 2001 avec la volonté constante de placer les élèves au cœur de leur propre apprentissage. Tout au long de mon parcours, j’ai régulièrement initié des projets, que ce soit en classe ou au sein de clubs. En 2005, dans un établissement REP, j’ai dirigé le projet d’étude de la Terre et de l’environnement, permettant aux élèves de passer une nuit au Pic du Midi. Leur engagement a été récompensé par le prix coup de cœur du CNES, saluant leur éloquence, la qualité de leurs affiches, maquettes, et leur démarche scientifique.
Parallèlement, j’ai dirigé un journal du club, honoré du prix Clemi.

Chaque année, j’ai conduit mes élèves à Fermat Science (voir lien) pour des ateliers mathématiques. Un projet sur l’héritage des sciences du monde arabe, avec l’intervention d’Ahmed Djebbar, a également vu le jour. Mon implication s’étend à la direction d’un club math en folie, explorant l’origami, l’écriture de nouvelles, le numérique et les jeux. À l’heure du déjeuner, nous l’animions dans le hall de l’établissement.

J’ai élaboré un programme pour la Semaine des mathématiques en collaboration avec mes collègues et les élèves. Bien que certains collègues aient perçu mes activités en classe comme éloignées de leur propre enseignement, le soutien de ma direction et des parents m’a permis de concrétiser de nombreux projets. Lorsque le plan Villani Torossian a été publié en 2018, j’ai reconnu dans ses propositions les actions que je mettais en place depuis 2001.

Une cheffe d’établissement a souligné que mes cours, jugés non académiques par certains, étaient en réalité innovants. On parlait encore peu de projets innovants à cette période. Elle m’a encouragée à persévérer. Aujourd’hui, je constate avec satisfaction le soutien des parents envers mes projets et l’évolution positive de la perception institutionnelle envers l’innovation pédagogique. Cela permet à de nombreux collègues de mener des projets où les élèves sont acteurs de leur apprentissage.

J’ai eu la possibilité de participer au groupe de travail GT4 du plan mathématique, cela a permis d’échanger avec des IPRS, des chercheurs, des membres de la DGESCO etc.. Voici les pistes d’activités proposées par ce groupe de travail : voir lien.

Inclus-tu toujours du théâtre dans tes enseignements ? Si oui, sous quelle forme ? Et au niveau de l’association « Les Maths en Scène », quelles sont tes actions pour combiner théâtre et mathématiques ?

Je m’investis actuellement dans un nouveau projet théâtral, cette fois-ci axé sur la place des femmes en mathématiques et en sciences du numérique. Nous attendons avec impatience les résultats de cette initiative. Au cours des dernières années, j’ai contribué à l’écriture de 5 à 6 pièces en collaboration avec les élèves avec parfois le soutien d’un scénariste ou d’un comédien enrichissant ainsi notre expérience théâtrale. Il y a deux ans, j’ai découvert l’improvisation théâtrale, et je considère la possibilité de l’intégrer en classe, une idée à mûrir.

Parfois, j’ai eu recours au théâtre lors de séances de soutien pour résoudre des problèmes mathématiques et faciliter la compréhension de concepts tels que la proportionnalité. J’ai demandé aux élèves de présenter cette notion à travers une improvisation, en définissant l’action, les personnages et en résolvant l’énoncé. Cette approche a produit des résultats positifs, comme me l’a rapporté ma collègue, souligne la réussite des élèves après cette séance.

Pendant l’année scolaire 2013/2014, j’ai dirigé un projet théâtral avec une classe de 5ème qui explorait l’histoire des mathématiques, de ses débuts à nos jours. Ce projet a attiré l’attention et a été hautement apprécié lors de l’Exposcience européenne en Slovaquie (voir lien).

Les élèves ont présenté leur pièce de théâtre à six reprises, notamment lors de festivals de théâtre à Castanet Tolosan, à l’Exposcience régionale, et au Festival de Maths en 2016. De plus, ils l’ont jouée en anglais lors de leur participation en Slovaquie. Ce travail, déjà représenté deux fois, sera à nouveau joué en anglais à l’exposciences européenne de Zilina en Slovaquie

Depuis trois ans, le projet « Maths en scène » est en cours au collège Jacques-Prévert. Sous ma direction, 20 élèves volontaires explorent les mathématiques à travers l’art théâtral. Ensemble, ils ont créé une pièce en six actes, l’une d’elles portant sur les stéréotypes liés aux femmes en mathématiques.

Tu es très attachée au numérique, en témoignent ta participation au « groupe numérique de l’IRES » de Toulouse ainsi que certains ateliers du festival annuel des « Maths en scène ». Pour commencer, peux-tu parler de ton enseignement du codage ?

En tant qu’enseignante, j’ai cherché à intégrer les compétences en programmation de manière à la fois stimulante et accessible pour mes élèves. J’ai mis en œuvre des programmes d’initiation au codage dans mes cours, en commençant par des concepts de base adaptés au niveau des élèves. J’ai utilisé des outils interactifs et des plateformes éducatives pour rendre l’apprentissage du codage plus engageant. Mon objectif était de créer un environnement dans lequel les élèves ont réussi des compétences pratiques tout en développant leur pensée logique et leur résolution de problèmes.

J’ai également encouragé des projets concrets liés au codage, permettant aux élèves d’appliquer leurs connaissances de manière créative. En 2016, j’ai lancé un club de programmation, en incitant des jeunes filles à s’inscrire. Les élèves ont créé des jeux à partir de la programmation Scratch afin de les faire tester par leurs camarades lors des journées maths de l’établissement.

Et pour pouvoir faire découvrir aux élèves les sciences de l’informatique sous un jour nouveau, que propose « Les Maths en Scène » ?

Nous avons trois pôles autour des sciences de l’informatique :

  • InforMathique, numérique et robotique : Langage numérique ; Algorithme et codage
  • IA : de la modélisation de l’intelligence aux applications
  • Des maths connectées : de la réalité virtuelle, augmentée...

Des ateliers (voir par exemple ceux du festival 2023) sont proposés par les Maths En Scène en collaboration avec des partenaires (mathématiciens, mathématiciennes, informaticiens, informaticiennes de différentes universités dont celle de Paul Sabatier, Code en bois, asso Digijeunes, Vittascience, IRES numérique, etc). Voici quelques exemples :

  • Démonstration du théorème de l’arrêt d’une machine de Turing avec Scratch.
  • Programmation de robots Lego pour des interactions et déplacements dans un espace au sol.
  • Apprentissage de la programmation des déplacements et de la luminosité d’un robot open source pour réaliser du Lightpainting.
  • Exploration des principes d’algorithmes et de programmation par la création de jeux vidéo avec Scratch.
  • Découverte de la programmation à l’aide de cartes microbit pour des actions comme le clignotement de cœurs, l’affichage de smileys ou la création d’un chifumi électronique.
  • Apprentissage du code avec Bluebot pour la navigation dans un quadrillage et l’évitement d’obstacles.
  • Expérience sur papier pour comprendre les algorithmes génétiques en intelligence artificielle en simulant l’évolution d’une espèce virtuelle à partir d’ADN factice.
  • Illustration du concept d’IA hybride en combinant les modèles de raisonnement logique et d’apprentissage automatique à travers des exemples d’agents conversationnels, de véhicules autonomes et de robotique sociale.
  • Challenge du « Code menteur » pour trouver la meilleure stratégie face à un adversaire qui ment une fois dans un jeu de cartes.
  • Compréhension du fonctionnement des réseaux de neurones en tentant de reconnaître des formes.
  • Jeu contre une IA débranchée avec le jeu de Nim impliquant une machine construite à partir de boîtes d’allumettes.

Un des dispositifs phares de l’association est « Regards de Géomètre ». Concrètement, comment l’inclus-tu dans tes projets pédagogiques au collège de Saint-Orens ? Peux-tu en donner un ou deux exemple(s) ?

J’ai initié des projets qui entrelacent les domaines des mathématiques et des arts avant même la création du dispositif. Les échanges fructueux avec Arnaud Chéritat et Xavier Buff, mathématiciens à l’Institut Mathématique de Toulouse, ont été le point de départ du projet « Regards de géomètre » (voir lien).

En collaboration avec Arnaud et Xavier, nous avons réfléchi aux thèmes à proposer. L’un de mes projets inscrit dans le cadre du dispositif était axé sur les fractales. J’ai travaillé avec une collègue de français sur le conte du Petit Prince. Les élèves ont élaboré un conte après avoir découvert le conte de Marie Lhuissier sur les fractales et l’intervention d’Arnaud Chéritat pour son regard expert des fractales. Les élèves ont imaginé que Le petit Prince et ses compagnons devaient découvrir la planète en forme d’éponge de Menger.

Un autre projet, qui combinait les mathématiques et les arts, a abouti à une réalisation chorégraphique avec Sadek de géométrie variable. Cette année, les élèves explorent le thème de l’architecture en collaboration avec un photographe. Leur ambition est de créer une exposition photographique centrale sur la ville de Toulouse et de concevoir une promenade mêlant mathématiques et arts.

Nous avons réussi à intégrer le dispositif dans le cadre européen, ce qui nous a permis de développer des activités clés en main ainsi qu’une exposition sur les mathématiques et les arts. Vous pouvez trouver tous les ateliers clés en main sur cette page : voir lien.

Suivant quels critères « Les maths en Scène » décide-t-elle d’encadrer la demande d’un(e) collègue souhaitant faire participer sa classe à « Regards de géomètre » ? Sous quelle forme l’encadrement se concrétise-t-il ?

Nous apportons un soutien à tous les enseignants désirant intégrer le dispositif, à condition qu’ils se conforment à une note de cadrage. Par exemple, il est impératif que les élèves jouent un rôle actif dans le projet, et la création de l’œuvre ne doit pas être préalablement déterminée par l’enseignant.

Les coordinateurs du dispositif organisent une journée de formation pour les porteurs de projets, assurant un suivi continu tout au long de l’année. Ce suivi inclut la mise en relation avec le scientifique et l’artiste, ainsi que la proposition d’idées visant à concrétiser le projet, le planning du colloque et l’exposition du dispositif regards de géomètre (voir cette vidéo par exemple).

Tu as créé « Les maths en Scène » en octobre 2016 et, dès mars 2017, il y a eu un premier festival : cela veut dire que tu avais anticipé (en partie) son organisation avant la création de l’association ? Combien de bénévoles étiez-vous au départ et combien maintenant ?

En effet, j’avais regroupé toutes les informations nécessaires pour le festival de 2017 sur une page A3 sous forme de carte mentale.

Forte d’une expérience de réalisation de projets depuis 2001, je dispose d’un réseau étendu parmi les médiateurs et les mathématiciens. J’ai présenté mon projet à Xavier Buff, Arnaud Chéritat et Jean Baptiste Aubin (alors directeur de la MMI), qui se sont montrés prêts à soutenir l’initiative. Grâce à l’appui de Jean Baptiste Aubin et de ses collègues, le festival de mars 2017 (voir vidéo) a été intégré au forum des maths vivantes. Xavier, en collaboration avec l’inspecteur général de l’époque et les IPR, a élaboré une journée de formation PNF pour les enseignants ainsi qu’une pour la découverte des métiers.

De mon côté, j’étais responsable de l’organisation du festival et des soirées qui l’accompagnaient, en collaboration avec quatre membres de l’association de l’époque. Le Forum des maths vivantes de Toulouse (voir lien) s’est révélé être une grande réussite. Pour le festival, nous avons mobilisé entre 20 et 30 bénévoles sur les deux journées et les soirées. Pour cette première édition, nous avons accueilli 30 classes, ce qui était tout simplement incroyable !

Tu as relayé sur Twitter l’appel aux autrices de MathémaTICE, ce dont nous te remercions. Plus généralement, as-tu des raisons particulières de chercher à promouvoir plus de féminisation en sciences ? Ton association a t-elle fait des actions spécifiques en ce sens ?

C’est un sujet qui me tient profondément à cœur. En réalité, de nos jours, de nombreuses jeunes filles ne se sentent toujours pas légitimes à s’orienter vers les sciences, même si elles démontrent des aptitudes exceptionnelles. Il est crucial de les inspirer en mettant en lumière des parcours atypiques qui témoignent de la réussite malgré les défis rencontrés.

Il est impératif de briser les barrières qui entravent l’accès des jeunes filles des quartiers prioritaires aux domaines scientifiques, afin qu’elles puissent s’y orienter avec la même facilité que leurs paires. Dans le cadre de notre association, le pôle rencontre lors du festival a pour objectif de présenter des parcours inspirants d’ingénieurs, de techniciennes et de scientifiques évoluant dans le monde de la recherche.

Nous avons également mis en place le dispositif InspirSciences (voir lien), visant à encourager de manière créative et interactive les élèves à explorer les carrières scientifiques, mathématiques et informatiques. Nous cherchons à inspirer et à encourager les jeunes en organisant des rencontres avec des professionnels et professionnelles qui servent de modèles, inspirants et accessibles. L’objectif est de mettre en avant des métiers innovants tout en soulignant la présence des femmes dans les domaines scientifiques et de l’ingénierie.

Par ailleurs, notre association est fière d’être partenaire de la journée « Les femmes scientifiques sortent de l’ombre » (voir lien) avec Le Quai des Savoirs. Cette journée d’action, qui se tient le 8 mars, vise à mettre en lumière le rôle essentiel des femmes dans le domaine des sciences. En collaborant avec Le Quai des Savoirs, nous participons activement à cette initiative visant à sensibiliser le public, à promouvoir la diversité dans les sciences et à célébrer les réussites des femmes scientifiques. Cette collaboration renforce notre engagement à briser les stéréotypes de genre et à créer un environnement où les jeunes filles peuvent pleinement s’épanouir dans les domaines scientifiques.

Ces initiatives visent à inspirer la nouvelle génération, à montrer que la réussite dans les sciences est accessible à toutes et à tous.

Après avoir fondé la « Maison des Maths » en Belgique, Manu Houdart s’est orienté vers les planches avec « Very Math Trip ». Envisages-tu une évolution similaire, toi qui aimes le théâtre ? Mais peut-être ne serais-tu pas prête à abandonner le métier d’enseignant pour cela, comme il a choisi de le faire ?

Ma perception du théâtre diffère considérablement. La réalisation d’une conférence-spectacle n’est pas le type de théâtre que j’aspire à créer.

Cependant, à l’instar des pièces de Shakespeare, qui explore toute la palette des émotions humaines, de l’amour à la haine, de la joie à la tristesse, je souhaite évoquer les mathématiques sur scène de manière similaire.

Je m’inspire du magnifique film « Man Ray et les équations shakespeariennes », qui raconte l’histoire de l’artiste Man Ray. Ce film explore sa rencontre avec le monde des mathématiciens et la création de ses œuvres, les « Équations Shakespeariennes ». En utilisant la photographie et la peinture, Man Ray parvient à produire une œuvre inattendue et fascinante, établissant un lien entre ses créations et les pièces de théâtre de Shakespeare. Ce film magnifique offre un voyage captivant à travers les mathématiques, réunissant artistes et mathématiciens dans une exploration commune.

Je rêve de pouvoir transmettre les concepts mathématiques de manière similaire sur les planches. Peut-être un jour aurai-je l’occasion de jouer et de parler des mathématiques d’une manière aussi immersive. L’idée serait de créer une expérience théâtrale où l’art, les mathématiques et la créativité se rencontrent, offrant au public une perspective unique et enrichissante sur ce domaine souvent perçu comme abstrait.

Je pourrais peut-être aller vers un stand-up autour des mathématiques. Le stand-up, par nature, est une forme de performance directe et interactive qui permet au comédien de partager ses idées de manière légère et humoristique. Je pourrais parler des anecdotes historiques sur des mathématiciennes et mathématiciens de notre époque, des paradoxes mathématiques, ou même des situations humoristiques liées aux mathématiques dans la vie quotidienne ou dans nos classes etc....

Les idées ne me manquent, les rencontres pour l’écriture non plus ! Qui sait ce que l’avenir réserve ?

Merci beaucoup Houria pour toutes ces informations. Pour encore mieux toucher du doigt la richesse et la variété des activités proposées par « Les Maths en Scène », j’invite les lecteurs à non seulement consulter le site web de l’association, mais aussi sa chaine YouTube (voir lien)...