Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Jongler avec GeoGebra, une passion

Vincent Pantaloni fait partager sa passion pour GeoGebra dans une interview avec Patrick Raffinat où il aborde aussi la théorie mathématique du jonglage.

Article mis en ligne le 10 février 2022
dernière modification le 24 avril 2022

par Vincent Pantaloni, Patrick Raffinat

Vincent Pantaloni, inspecteur d’académie - inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) dans l’académie d’Orléans-Tours et ambassadeur GeoGebra, répond à une interview de MathémaTICE réalisée par Patrick Raffinat.

Quand et comment êtes-vous devenu « ambassadeur GeoGebra » ? En quoi cela consiste t-il ?

La création des différents statuts GeoGebra (Follower, Contributor, Ambassador, Institute, Network) est récente, tout est expliqué ici : https://www.geogebra.org/m/nmmmzgzn.

Je suis en contact avec les dirigeants et développeurs de GeoGebra depuis quelques années et comme d’autres utilisateurs de différents pays, je suis parfois invité à des réunions organisées par GeoGebra pour nous présenter les dernières avancées de GeoGebra. J’ai postulé en tant qu’ambassadeur ce qui correspond à peu près à mon activité avec GeoGebra, mais c’est complètement bénévole et sans contrepartie de quelque sorte que ce soit. Mon action en tant qu’ambassadeur consiste essentiellement à partager sur Twitter des créations faites avec GeoGebra et contribuer à proposer des formations.

Vous avez développé de nombreuses ressources GeoGebra pour le plaisir. Quelles sont vos préférées ? Quelles ont été techniquement les plus difficiles à réaliser ?

Pour le plaisir je fais des pavages animés, des représentations de solides, des illustrations de problèmes ou des preuves sans mots. J’aime bien celle-ci qui est une preuve sans mots originale de la formule pour la somme des premiers entiers impairs.

Elle me plait car elle a été l’aboutissement de plusieurs animations classiques en deux dimensions, quand j’ai vu que le repliement des rangées pouvait être vu en 3D sur un tétraèdre j’ai eu le fameux moment « Ah ha ! ». Dans ces animations, outre le plaisir commun à tout loisir créatif, il y a aussi un plaisir de recherche mathématique qui n’est pas forcément visible. Dans celle-ci par exemple, il y a la composition de deux rotations axiales ce qui se voit bien mais il y a aussi la vitesse de rotation n’est pas constante, elle est obtenue par une fonction appropriée qu’il a été amusant à déterminer.

J’aime bien celle-ci qui était un peu plus compliquée à réaliser et qui montre une déformation de pavage de la famille des pavages du Caire :

Je m’amuse aussi à créer des illusions d’optique animées, souvent inspirées par les travaux du chercheur Akiyoshi Kitaoka. Une de mes dernières en date :

Vous avez aussi développé de nombreuses ressources GeoGebra à des fins pédagogiques, dont un livret pour la Terminale et un livret pour la Première. Qu’y a t-il pour le collège ?

J’ai été contacté par l’inspectrice générale Anne Burban pour écrire des documents ressources pour l’enseignement scientifique et j’étais heureux de contribuer en fournissant aussi des ressources numériques sous forme d’appliquettes GeoGebra. Je suis très reconnaissant à Anne Burban qui a poussé pour que cela puisse être mis à disposition des enseignants sur Eduscol. Il me semble que c’est une avancée notable.

Pour le collège, de nombreuses ressources Eduscol sont parues très récemment et, même si j’y ai contribué, il n’y avait pas de GeoGebra ! Cependant, lors du 1er confinement, il y a eu de nombreuses vidéos de cours par des enseignants diffusées sur Lumni et on m’a demandé de préparer des animations (lien 1, lien 2) pour dynamiser leur présentation. Cela m’a bien occupé pendant ce confinement et j’ai mis les appliquettes produites dans un livret GeoGebra, même certaines qui n’ont pas été utilisées car les professeurs Cyril Michau et Nicolas Lemoine sont très aguerris au numérique et ont parfois utilisé d’autres méthodes de visualisation.

Je peux aussi signaler pour le collège le travail admirable de Jean-Yves Labouche. On trouve sur son site une mine d’exerciseurs GeoGebra (et de tutoriels) très bien rangés. Il partage ses créations sur son compte GeoGebra et celui de la Commission inter-IREM TICE (site de la C2iT : https://tice.univ-irem.fr/), groupe IREM dans lequel il est très productif.

J’ai découvert l’existence de GeoGebra Classroom en consultant votre CV sur Internet. Quels en sont les atouts pédagogiques ?

GeoGebra Classroom est assez génial et j’en ai fait la promotion en France car il me semble que c’est le type d’outil numérique efficace et aisé à prendre en main qui simplifie vraiment la vie aux enseignants (voir article APMEP). Les enseignants de mathématiques connaissent bien GeoGebra et Classroom permet à la fois de partager une activité GeoGebra et de visualiser en direct l’activité de toute la classe. Vous trouverez ici un livret GeoGebra tutoriel que j’ai traduit un peu rapidement en français.

Ce qui s’appelle « activité » GeoGebra est sur une page en ligne et peut comporter des appliquettes GeoGebra évidemment mais aussi des questions (ouvertes ou QCM), des vidéos, des documents pdf, images, etc. Il y a de quoi faire simplement des leçons interactives sans savoir programmer.

En préparation du 2e confinement, lorsque j’étais IA-IPR dans l’académie de Versailles j’avais piloté un petit groupe de production qui était chargé de créer de telles leçons GeoGebra, prêtes à être partagées via Classroom, elles ont été déposées sur un compte académique acvereuler. Mais même sans enseignement distanciel, c’est utile pour avoir une vision d’ensemble du travail des élèves. Il n’est pas nécessaire de distribuer un fichier et surtout de les récupérer, il suffit de partager une url et Classroom fait le reste.

Vous avez pratiqué la classe inversée, comme le montre un reportage de FR3. Pendant combien de temps ? Qu’en avez-vous retenu ?

J’ai pratiqué la classe inversée pendant trois ans, mais pas avec toutes mes classes. En 1re S cela a plutôt bien fonctionné, je trouvais que cela me donnait plus de temps pour être auprès de mes élèves et ils étaient plus longtemps en activité en classe. Les retours des élèves étaient pour la plupart positifs aussi mais cela m’a demandé un assez gros investissement en temps la première année pour revoir mon organisation, heureusement nous étions deux avec mon ancien collègue Jean-Pierre Gerbal. Et la mutualisation, les échanges nous ont permis d’avancer avec plus de confiance et de trouver ensemble des ajustements. Par exemple on a vite compris que tout visionnage de vidéo devait être accompagné d’un petit QCM en ligne pour s’assurer qu’elle avait été regardée, mesurer la compréhension des élèves et proposer en classe des précisions adaptées. Pour les fiches d’exercices on a beaucoup utilisé les fichiers sources LaTeX des livres Sesamath, c’est l’occasion de dire merci !

Mes essais en 2de et terminale spécialité maths ont été un peu moins fructueux à mon goût pour des raisons différentes. En 2de je trouvais qu’ils manquaient encore d’autonomie et je n’ai pas réussi à les impliquer dans leurs apprentissages avec cette méthode donc j’ai abandonné en cours d’année. En spé maths de terminale, la part de démonstrations est plus importante et finalement cela fonctionnait mieux lorsque je construisais le cours avec eux.

Avant d’inverser ma classe je pratiquais déjà beaucoup le numérique, GeoGebra bien sûr mais aussi WIMS qui me permettait d’automatiser l’entraînement aux procédures et calculs, cela fonctionnait très bien. Si je devais encore enseigner je trouverais une méthode mixte en gardant la classe inversée pour certaines séquences, celles comportant une part importante de procédures ou de révisions. Par contre pour les nouvelles notions, la construction du cours avec le professeur me semble nécessaire.

Cette connaissance de la classe inversée a dû être un atout pendant les confinements ? Comment l’avez-vous exploitée en tant qu’inspecteur ? Plus généralement, comment avez-vous aidé les enseignants pendant cette période délicate ?

En tant qu’inspecteur je n’ai jamais conseillé la classe inversée sauf à des enseignants expérimentés qui me demandaient des conseils. Il me semble que cela demande d’avoir déjà des gestes professionnels bien installés et une bonne pratique du numérique. Pendant les confinements, les enseignants n’ont pas tellement eu d’autre choix que d’essayer et de faire au mieux avec les outils à leur disposition et qui fonctionnaient.

Nous avons donné quelques conseils généraux pour mettre en œuvre un enseignement à distance efficace mais cela n’a finalement pas grand-chose à voir avec la classe inversée malgré ce qu’on a pu dire à l’époque. En classe inversée, les élèves reviennent en classe avec une certaine imprégnation du cours mais il reste encore bien à construire avec eux. Là il n’y avait pas de retour en classe et c’était très difficile pour les enseignants de sentir les difficultés des élèves et de les accompagner, beaucoup d’enseignants ont témoigné de cette frustration. Rien que de ne pas voir le regard des élèves quand on explique pour sentir leur compréhension est un vide immense pour enseigner correctement.

Vous avez co-écrit un livre. Pourriez-vous nous le présenter ?

C’est un petit livre sans grande prétention et qui n’est pas vraiment scolaire. « Geometry Snacks » (et la suite « More Geometry Snacks ») part d’une proposition de collaboration de mon co-auteur Ed Southall qui est un enseignant formateur anglais assez connu sur Twitter avec qui on échangeait régulièrement. Quand il m’a annoncé le projet en 2017 il m’a dit en gros : on propose des problèmes de géométrie sous forme de figures géométriques pop qui ont l’air « cool », presque sans mots, et on propose deux ou trois solutions à chaque problème.

Les problèmes sont rangés par thèmes : « What fraction is shaded ? », « What’s the angle ? », etc. Ed est très doué pour inventer des problèmes et il en avait déjà pas mal en stock. J’ai complété avec des créations de nouveaux problèmes et dessiné les centaines de figures pendant l’été, avec GeoGebra, bien sûr !

Mais le plus intéressant était nos échanges pour chercher une deuxième, troisième solution. La complémentarité des regards entre un anglais et un français était assez enrichissante. Avant la publication j’utilisais ces problèmes en classe, surtout pendant les cours en anglais (section euro et internationale) pour travailler le vocabulaire et la communication. Les problèmes les plus élémentaires fonctionnaient mieux. Les élèves cherchaient seuls, puis en groupe et venaient exposer leur méthode au tableau.

Pour illustrer le livre, j’ai choisi les deux problèmes suivants :

  1. Quelle est la part du carré qui est coloriée en rouge ?
  2. Chaque carré est de côté 2, l’hypoténuse du triangle rectangle est tangente au cercle inscrit dans le carré de droite. Quelles sont les dimensions du triangle rectangle rouge ?

Le premier problème a été partagé par Ed Southall sur Twitter et a donné lieu à beaucoup de solutions proposées par des internautes. Ed en a fait un article pour en répertorier une dizaine : Southall,E (2020). ‘Approaches to the Pink Triangle Problem’, Mathematics in School (lien).

Pour finir de façon ludique, pourriez-vous aborder la théorie mathématique du jonglage, une de vos passions ?

En quelques mots et sans balles c’est difficile, je pourrais en parler pendant des heures ! Je peux vous renvoyer à cet article écrit pour Au Fil des Maths et qui est disponible en ligne pour plus de détails mais je vais vous dire un peu ce qui m’a fait me plonger dans les mathématiques du jonglage.

Il y a plusieurs questions mathématiques intéressantes avec le jonglage :
• A quelle hauteur faut-il lancer les balles en fonction du nombre de balles jonglées ?
• Quels motifs de jonglage sont possibles avec un nombre donné de balles ?
• Comment déterminer tous ces motifs ?

La première question fait intervenir la loi de la chute des corps bien sûr mais aussi le premier théorème de jonglage que l’on doit à Claude Shannon et qui relie le nombre de balles, le temps de vol des balles, le temps qu’elles passent dans une main, le temps qu’une main reste vide et… le nombre de mains.

Les questions sur les motifs touchent au codage moderne des figures de jonglage appelé siteswap et qui a été découvert quasiment simultanément dans les années 80 par deux groupes de jeunes mathématiciens en Angleterre et aux Etats-Unis. J’ai eu la chance de rencontrer l’un d’eux, Colin Wright, qui est devenu un ami et qui m’a raconté quelques moments de ces découvertes.

Pourriez-vous développer ces découvertes sur les figures de jonglage ?

L’idée est de coder un lancer par un nombre qui correspond au temps de vol correspondant avec pour unité de temps le battement des mains. Voici une animation illustrant les lancers 1, 2, 3, 4 et 5 :

Ce qui est intéressant c’est que l’invention d’une bonne notation a apporté une meilleure compréhension des concepts arithmétiques en jeu et a permis la découverte de figures de jonglage jusque-là inconnues comme la figure 5551 avec quatre balles. Avec quatre balles les figures maintenant codées par 53, 552, et 55550 étaient connues depuis toujours, il s’agit de lancers asymétriques où les balles se croisent. Dans le jonglage normal à quatre balles (codé simplement 4) les balles ne se croisent pas : on jongle à deux balles dans chaque main. C’est comme ça pour tout nombre pair de balles. Pour 53 on alterne un lancer croisé haut (5) et un lancer croisé bas (3), Pour 552 on croise deux lancers hauts suivis d’une brève pause. 55550 correspond au jonglage à 5 balles mais avec une balle invisible (c’est ce que signifie le zéro). Voici par exemple les jonglages 53 et 552 en image pour comparer :

Jonglage de siteswap 53 Jonglage de siteswap 552

En observant ces codages, ils ont eu l’intuition qu’il manquait un terme à cette suite logique : la figure 5551. Et ils l’ont donc découverte ainsi.

53
552
5551
55550

Vous pouvez remarquer que la moyenne de ces suites de chiffres vaut toujours quatre qui est le nombre de balles, c’est une propriété générale des siteswaps que l’on peut démontrer mathématiquement. L’idée essentielle est que si l’on peut jongler la succession de deux lancers (a ;b) où a et b sont deux entiers avec a>b on peut aussi jongler (b+1 ; a-1). Colin raconte qu’aux conventions de jonglage à cette époque les gens voulaient tous apprendre à jongler ce nouveau tour 5551, il faut reconnaitre que ce n’est pas très facile !

Pour déterminer toutes les figures de jonglage possible avec un certain nombre de balles il faut aussi se fixer une hauteur maximale pour les lancers sinon il y en a une infinité (et puis c’est impossible de lancer au-delà de quelques mètres de toute façon). Une fois ces contraintes posées, le principe du jonglage en impose d’autres, essentiellement qu’on ne peut pas recevoir deux balles en même temps dans une main. On peut alors tracer un graphe orienté pour construire les différents enchaînements possibles, là aussi avec un codage approprié cela devient assez simple.

Pourriez-vous détailler ce graphe orienté ?

Ci-dessous un exemple de graphe orienté montrant les figures possibles avec 3 balles et une hauteur inférieure à 5 (ce qui correspond à la hauteur pour jongler avec 5 balles). Les flèches correspondent aux différents lancers et les codes binaires à l’état des balles c’est-à-dire quand elles vont atterrir. Plus de précisions sont fournies page 10 de ce pdf.

Pour essayer de comprendre ce type de graphe, j’ai cherché (pendant une surveillance de bac) à dresser celui pour les jonglages à deux balles, pensant naturellement que ce serait plus simple que pour trois balles. Je me suis aperçu (c’était connu) que le graphe était le même, ou plutôt dual de celui pour trois balles. Plus généralement les graphes et donc les figures possibles avec b balles à une hauteur maximale h et celles avec h-b balles à une hauteur maximale h sont duales. En observant les deux graphes, je vous laisse chercher comment cette dualité se traduit sur les lancers et les états des balles.

Bref, il y a plein de maths cachées dans le jonglage !

Vous arrive t-il aussi de combiner les maths avec un autre de vos centres d’intérêt, la sculpture sur bois ?

Cela fait bien longtemps que je ne trouve plus le temps de fabriquer des objets en bois mais oui, j’ai une petite collection d’objets mathématiques bizarres comme des formes de largeur constante, des nœuds en bois, un jeu pour enfant avec une même forme qui passe dans un trou rond, carré ou triangulaire.

Merci d’avoir accordé cette interview à MathémaTICE. Si vous souhaitez aborder d’autres thématiques, vous avez la parole…

Merci à vous, je crois que j’ai déjà été assez bavard !