Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Polygrammes
Article mis en ligne le 26 novembre 2023
dernière modification le 9 janvier 2024

par Sébastien Reb

 0 – Introduction

Expliquer parfois la genèse d’un tel objet d’étude, c’est pénétrer un tant soit peu dans les méandres réflexifs d’un mathématicien « amatheur » en quête de plaisir intellectuel et de motivation. Tout débute avec la ressource phare du laboratoire de mathématiques de Toucy qu’est la mathémagie.

J’ai eu la chance de rencontrer Dominique Souder au salon culture et jeux mathématiques place Saint-Sulpice à Paris en mai 2023. Dominique relit et corrige tous nos tours depuis le 1er. Dans son ouvrage, 69 performances renversantes pour Teen-agers amoureux de dame mathémagie, un de ses premiers tours s’intitule, le jeu des légumineuses. Il s’agit de partir d’un légumineux de son choix dans un parcours étoilé. Inexorablement, en épelant le nom du légumineux choisi, on tombe toujours sur le même légumineux à la fin. Imprégné de ce tour, je décide alors de créer sur le même principe un tour de mathémagie constitué de nombres que l’on épèle, afin de travailler l’orthographe chez les plus jeunes au cycle 2 :
le cercle alphamagique (voir paragraphe 4).

C’est incroyable de voir émerger en nous le cheminement de pensée qui nous conduit quelques mois plus tard à recentrer notre attention sur un tel objet d’étude. À l’occasion d’un nouveau projet au laboratoire, les polygrammes refont surface. L’objectif annuel est de créer des posters mathématiques pour afficher dans les classes. Des images à contempler, des images montrant la beauté des mathématiques, des images qui questionnent… C’est parti ! Quelques figures sur mon carnet de route (dont je ne me sépare jamais), une modélisation via GeoGebra et l’amorce est là… Il n’y a plus qu’à étudier en profondeur ces nouveaux « jouets » mathématiques !

 1 – Késako ?

(9 ;3)

(14 ; 5)

Un polygramme régulier est une figure géométrique formée par $n$ sommets répartis régulièrement sur un cercle et dont les côtés s’obtiennent en reliant le sommet $k$ au sommet $k+e$ où $e$ est l’écart entre les sommets reliés à la suite.

Exemple : sur la figure ci-contre il y a $n = 9$ sommets et l’écart $e = 3$. On notera $(9\ ; 3)$ un tel polygramme.

Plusieurs questions se posent :

  • pour chaque valeur de n combien existe-t-il de polygrammes différents ?
  • Y a-t-il une formule donnant le nombre de polygrammes en fonction de $n$ ?
  • Peut-on classifier les polygrammes ? Suivant quelle caractéristique ?
  • Y a-t-il un lien entre $n$ et $e$ ?

 2 – Zoologie des polygrammes

N’importe quel scientifique, y compris le mathématicien, éprouve le besoin de classifier les objets, de les rassembler, de leur trouver des points communs, des analogies. C’est le cas en chimie avec la classification périodique des éléments de Mendeleïev, créée en 1869. En mathématiques, on classe les polygones suivant le nombre de côtés ou d’autres caractéristiques comme la convexité. Les polygrammes n’échappent pas à cette démarche de regroupement. Tout dépend clairement des deux entiers $n$ et $e$.

Certains de ces polygrammes sont connus :

$(5\ ; 2)$
Le pentagramme étoilé, symbole mystique
que les disciples de Pythagore utilisaient
pour se reconnaître.

$(6\ ; 2)$
L’hexagramme régulier ou étoile
de David est un ornement religieux
du Judaïsme

Et ainsi de suite… On constate de suite plusieurs types de polygrammes :

  • les polygones réguliers convexes du type $(n\ ; 1)$ ;
  • les polygones étoilés obtenus sans lever le crayon pour les tracer ;
  • les étoiles formées par plusieurs polygones identiques en rotation ;
  • les dégénérés constitués de segments concourants au centre du polygramme.

Affiner l’étude de ces quatre familles de polygrammes revient à établir des propriétés sur celles-ci. Avant cela, faire réaliser de telles figures aux élèves est gage de motivation et source de réflexion et de questionnement. L’idée est d’engager un débat, un échange autour de recherches géométriques. Les élèves peuvent ensuite tenter une classification en familles. La réalisation d’un jeu de cartes peut être une belle finalité. Sur le recto, on propose divers polygrammes et sur le verso est indiqué son codage $(n\ ; e)$. L’objectif est de retrouver le codage du polygramme. C’est un premier pas vers de l’algorithmique débranché.

 3 – Propriétés des polygrammes

Propriété 1Tous les polygrammes du type $(n\ ; 1)$ sont des polygones réguliers convexes.

Evident puisque l’écart $e=1$ conduit à relier tous les sommets consécutifs. Comme les points sont équirépartis sur le cercle, le polygone est régulier.

Propriété 2Si $n$ est pair, les polygrammes du type $\left( n ; \frac{n}{2} \right) $ sont dégénérés.

En effet, si $ n=2p $ est pair, $ e=\frac{n}{2}=p $ donc un sommet est relié avec son sommet opposé sur le cercle. Chacun de ces segments est en fait un diamètre du cercle.

Propriété 3Si $e$ divise $n$ alors le polygramme $(n\ ; e)$ est constitué de $e$ polygones réguliers à $ \frac{n}{e}$ côtés obtenus par une rotation de $ \frac{360}{n}$ degrés.

(12 ; 4)

$e$ divise $n$ donc il existe $k$ entier tel que $n=ek$. Notons $S_{1}, S_{2}, …, S_{n}$ les $n$ sommets du polygramme. Partons du sommet $S_{1}$. Le premier polygone a pour sommets $S_{1}, S_{1+e},S_{1+2e}, …, S_{1+ke}=S_{1}$.

En effet $1 + ke = 1 + n = 1$ modulo $n$ donc le polygone a $k$ sommets $S_{1}, S_{1+e}, …, S_{1+(k-1)e}$ soit $k$ côtés.

L’angle de rotation est donné par l’angle de sommet le centre du polygramme et d’extrémités deux sommets consécutifs. Il vaut donc degrés comme celui du polygone régulier construit avec ces mêmes sommets.

Propriété 4Si n et e sont premiers entre eux alors le polygramme (n ; e) est un polygone étoilé.

(12 ; 5)

Si on regarde uniquement l’indice des sommets du polygramme $1, 2, …, n$ alors cette propriété s’énonce aussi :

La liste des indices des sommets est un n-cycle $(1, 1 + e, 1 + 2e, …, 1 + ke, …, 1 + (n-1)e)$ où les $1 + ke$ se lisent modulo $n$.

Par exemple, avec $n = 12$ et $e = 5$ (ci-contre), le cycle des sommets est $(1, 6, 11, 4, 9, 2, 7, 12, 5, 10, 3, 8)$. Comme $e$ et $n$ n’ont pas de diviseurs communs, on passe nécessairement par tous les sommets un a un !

Idée
On peut prendre le temps avec les élèves pour programmer à l’aide :

  • du tableur pour écrire les n-cycles
  • du logiciel scratch en collège ou python au lycée pour tracer ce type de polygramme en faisant reconnaître si $n$ et $e$ sont premiers entre eux.

Plus précisément, l’idée est d’utiliser les outils numériques à bon escient afin d’apporter une plus value non négligeable à la construction des polygrammes. Voici une proposition de scénario pédagogique :

  • la 1ère étape consiste à introduire la recherche du PGCD de deux entiers via l’algorithme d’Euclide. Deux méthodes émergent alors : la méthode des soustractions successives et celle des divisions successives, suite logique de la 1ère. Le tableur semble être opportun pour programmer ces deux algorithmes :

  • S’ensuit naturellement la notion de nombres premiers entre eux, cas où le PGCD vaut 1. On peut profiter de cet instant pour faire découvrir certaines propriétés aux élèves en testant des nombres au tableur.
    • Deux nombres entiers consécutifs sont premiers entre eux.
    • Deux nombres premiers sont premiers entre eux.
    • Deux nombres impairs consécutifs sont premiers entre eux.
  • On étudie ensuite le cas de la propriété 4 avec une programmation par blocs sur scratch qui indique si n et e sont premiers entre eux :

Propriété 5Si $1 < PGCD(n ; e) = d < e$ alors le polygramme $(n\ ; e)$ est constitué de $d$ polygones étoilés à $ \frac{n}{d}$ côtés.
Titre
$(14\ ; 4)$
$PGCD(14 ;4)=2$
Le polygramme est constitué de 2
polygones étoilés à $ \frac{14}{2}=7$ côtés.


$(20\ ; 8)$
$PGCD(20 ;8)=4$
Le polygramme est constitué de 4
polygones étoilés à $ \frac{20}{4}=5$ côtés.


En fait, tout repose sur la constitution de cycles étant les sommets des polygones étoilés ! Si on reprend les indices des sommets pour écrire de tels cycles, le polygone étoilé s’écrit :
$\left(1,1+e,1+2e,…,1+ke,…,1+\left(\frac{n}{d}-1\right)e\right)$ où les $1+ke$ se lisent encore modulo $n$
Ce polygone a $\frac{n}{d}$ sommets donc il faut $n$ polygones pour couvrir les $\frac{n}{d}×d=n$ sommets du polygramme.

 4 – Mathémagie

Un peu de récréation mathématique avec un tour de magie illustrant les polygrammes : les cercles alphamagiques !

Prédiction : 31

Déroulement du tour : Le magicien propose à un spectateur de choisir un des 10 nombres du cercle. Par exemple, 42.
En épelant le nombre en toutes lettres (sans tenir compte des traits d’union), il suit les segments (1 pour chaque lettre épelée) dans le sens des aiguilles d’une montre !
Dans notre exemple : QUARANTE DEUX.
Il arrive systématiquement au nombre 31 !

Explication : Tout repose sur la construction du cercle et un peu d’arithmétique !

La construction du cercle nécessite un cycle unique de permutation. Si on note de 1 à 10 les 10 points du cercle alors le cycle obtenu est (1,4,7,10,3,6,9,2,5,8) avec un écart de 3 entre chaque nombre du cycle.

Lemme : si n et e sont 2 entiers premiers entre eux avec e<n alors les entiers de 1 à n sont rangés dans un unique cycle d’écart $e$ : $(1,1+e,1+2e,…,1+(n-1)e)$ où $1+ke$ se lisent modulo n.

Ici $n=10$ et $e=3$ sont bien premiers entre eux.

Pour les nombres, il suffit de placer ceux dont le nombre de lettres correspond au nombre de segments pour atteindre la cible 31.

Imaginons que la cible soit en position 10 dans le cycle (1,4,7,10,3,6,9,2,5,8), nous pouvons utiliser le tableau suivant pour prévoir les nombres autour du cercle.
Lancez-vous avec d’autres polygrammes ! On peut écrire des nombres en toutes lettres certes, mais on peut afficher des images. Un tel tour de magie peut s’effectuer dans d’autres matières que les mathématiques : en anglais pour réviser du vocabulaire, en géographie, pour réviser les capitales européennes, etc.

Objectifs pédagogiques :

  • Représenter les polygrammes dès le cycle 3 en préparant au préalable les cercles et les points équirépartis.
  • Établir des premières conjectures, découvrir la démarche expérimentale des mathématiques consistant à observer, émettre une hypothèse, contrôler, vérifier puis expliquer doit pouvoir se faire en primaire au cycle 3.
  • Le cycle 4 peut aller plus loin en arborant la notion d’arithmétique, de nombres premiers entre eux, la programmation est une piste à explorer également en salle informatique avec les élèves.

Sources pour aller plus loin :