Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Innumérisme et chômage sont-ils liés ? (2/2)
Innumérisme, le socle commun accessible à tous ?
Article mis en ligne le 9 mai 2014
dernière modification le 13 juillet 2014

par Michel Vigier

L’article qui suit est la deuxième partie d’un article dont voici la première partie.

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Deuxième partie

Un modèle psycho-pédagogique et un premier outil, le boulier didactique

Mots clés :

Ces mots, à racine bien française, reviennent après un petit détour par l’anglais américain et le français du Québec :

  Littératie  : Ensemble des connaissances et compétences de base requises pour utiliser l’information écrite (en anglais, literacy) ;
  Numératie  : Ensemble des connaissances et compétences de base requises pour conduire un calcul (en anglais, numeracy) ;
  Illettrisme  : Situation, susceptible d’évolution, des sujets dont la littératie est insuffisante ;
  Innumérisme  : Situation, susceptible d’évolution, des sujets dont la numératie est insuffisante ;
  Abaques  : Tables de calcul, incluant les bouliers, les tableurs informatiques, les tableaux sur papier en général, les tables numériques, les familles de courbe, etc.

La Commission Générale de Terminologie et de Néologie vient de publier au Journal Officiel du 16 avril 2014

innumérisme, n.m.

  • Antonyme : numérisme, n.m.
  • Domaine : Éducation-Formation.
  • Définition : Incapacité d’une personne à manier les nombres et le calcul dans les situations de la vie courante, même après avoir reçu un enseignement.
  • Voir aussi : littérisme.
  • Équivalent étranger : innumeracy.

numérisme, n.m.

  • Antonyme : innumérisme, n.m.
  • Domaine : Éducation-Formation.
  • Définition : Capacité d’une personne à manier les nombres et le calcul dans les situations de la vie courante.
  • Voir aussi : littérisme.
  • Équivalent étranger : numeracy.


Résumé de la première partie

Toutes les enquêtes mesurent, en moyenne, une régression du niveau en calcul et en maths. C’est une évidence, en moyenne, soit. Tout le monde reconnaît que l’élite, en France n’est pas encore (trop ?) touchée par cette baisse de niveau. L’Éducation Nationale, elle-même, avoue que le fossé entre les bons élèves et ceux qui sont en échec, se creuse année après année. Bien sûr, cette fracture a une typologie socio-économique marquée, que toutes les enquêtes relèvent, ce qui nous place en tête des pays où l’inégalité des chances est la plus forte entre les enfants de milieux modestes ou issus de parents immigrés et ceux issus des classes moyennes ou aisés.

Ces données sont publiées par l’OCDE, lors des enquêtes triennales concernant les adolescents à 15 ans. Les résultats d’autres enquêtes sont encore plus graves : l’Éducation Nationale mesure un effondrement des niveaux en maths, mais pas en français, à la fin du CM2, entre 1987 et 2007. Le retard pris en 2007 par rapport aux écoliers de 1987 serait de un an. 1987, cela fait presque 30 ans. L’INSEE en 2012 (enquête IVQ) puis l’OCDE en 2013 (enquête Piaac) montrent que cette régression a, aujourd’hui, des conséquences sur le niveau culturel des adultes de 16 à 65 ans. La France se place en fin de classement des 22 principaux pays de l’OCDE (entre la 18ème et la 20ème place sur 22, suivant les niveaux). Environ deux tiers de la population adulte est en difficulté, plus ou moins grande, en calcul !

Une autre enquête, situe les compétences requises dans les différents postes de travail. On voit bien le décalage entre ces deux taux, capacité de l’employé et compétences requises, en France.

Ces résultats ont été exposés dans la première partie. Nous avons trouvé un lien entre le dynamisme économique et le niveau culturel d’un pays ; nous conjecturons, même, qu’il existe une corrélation entre déficit culturel et taux de chômage dans les 22 principaux pays de l’OCDE. L’échec en math, c’est souvent l’échec tout court. Cette situation serait, donc, un boulet culturel, économique et social pour notre pays, selon une étude de l’Association pour la Prévention de l’Innumérisme [1].


Avertissement

Le président de l’APMEP, à la lecture de la partie 1, va encore dire « Beaucoup de bruit pour rien [2] ». Les professeurs de maths se sentent visés, lorsque l’on parle des résultats des enquêtes nationales et internationales. Pourtant, il n’y a pas de quoi !

En 2012, l’Allemagne produit trois fois plus de produits manufacturés que la France, l’Italie, un quart de plus, et les populations sont voisines [3]. Pourquoi les professeurs de mathématiques se sentiraient-ils responsables de l’effondrement industriel de la France, de la fuite des cerveaux, des créateurs d’entreprise et des sociétés du CAC 40. En effet, nous sommes dans une situation où l’élite est, encore, bien formée … par les profs de maths.

L’Ocde, nous rappelle, simplement, qu’une économie moderne ne peut pas fonctionner lorsque 62 % de la population a encore des difficultés avec la proportionnalité (pourcentages, fraction, …), et 22 % avec les 4 opérations. Or ces notions fondamentales sont apprises à l’école primaire et il est bien difficile ensuite de continuer à construire sur ces sables mouvants hérités de la fin du CM2. Comment est-il possible que nous fassions aussi mal, avec les meilleurs enseignants du monde, puisqu’ils sont recrutés sur concours au niveau national, ce qui n’existe nulle part ailleurs ? Deux raisons sont bien connues :

*** Le budget consacré à l’école primaire est inférieur au budget moyen des pays de l’OCDE et un seul enseignant pour apprendre à lire et compter à une classe de vingt ou vint-cinq enfants, est une gageure qui saute aux yeux de tout observateur extérieur appelé à participer à une classe de CP, dans les campagnes profondes comme dans les banlieues de nos villes.

*** La formation des nouveaux maîtres, issus pour 90 % de filières littéraires et eux-mêmes en échec en maths parfois, n’est pas à la hauteur du défi culturel, qui nous est lancé par nos partenaires de l’OCDE. En L3 de Sciences de l’Éducation, à Limoges en 2013-2014, une seule étudiante sur 115 a eu une formation en maths pendant les deux années précédentes.

Il est bon de rappeler que l’APMEP, aujourd’hui, prend conscience du fait que les professeurs des écoles sont des professeurs de maths et qu’ils ont la lourde tâche, probablement la plus difficile, de couler les fondations de la discipline.

Notre volonté est bien, ici, de proposer des pistes, peu ou pas explorées, pour conduire aux compétences du socle commun, en primaire surtout et dans les premières années de collège, à la lueur, des enseignements constructivistes, de nos expériences et expérimentations et aussi des avancées en neurosciences. Nous n’aborderons dans cette partie que l’apport théorique des auteurs constructivistes ainsi que la présentation de l’outil de base pour construire le nombre positionnel décimal, soit le boulier didactique. Dans la troisième partie, nous étudierons les résultats des expérimentations conduites avec les outils tableaux et tableurs, en primaire, collège, LP et CFA, en tentant de leur trouver une validation ou une explication par des données issues des neurosciences.



L’Innumérisme, une question de sémantique ?

Généalogie du concept

Au tout début, le travail de recherche d’une équipe pédagogique de Lycée Professionnel a été publié dans le cadre du service spécialisé MEIP sur le site du Rectorat de Poitiers du début des années 2000 jusqu’en juin 2009. Les difficultés en mathématiques d’élèves de CAP en Lycée Professionnel en étaient le sujet et nous pensions, comme beaucoup, que ces élèves devaient souffrir d’un handicap de nature physiologique ou cognitif. L’éducation Nationale parlait alors de dyscalculie.

Stanislas Dehaene [4] s’interroge au début des années 2000 dans son livre, « la bosse des maths [5] » : comment peut-on parler de pathologie, alors que le phénomène toucherait plus de 10 % de la population, notamment scolaire ? Il nous propose, alors, comme traduction de l’américain inumeracy, le mot innumérisme. Ce terme est aussi repris au Québec un peu plus tard.

En juin 2009, Jean Paul Fischer réunit une équipe [6] de chercheurs, dont le signataire [7], pour une étude sur la dyscalculie, publiée, dans la revue ANAE. L’étude conclut à la marginalité de cette pathologie, avec moins de 1 %. Ce taux de prévalence est de l’ordre de la marge d’erreur, mais nous le mettons en avant, pour ne pas se fâcher définitivement avec le corps médical et les orthophonistes avec qui le débat avait été très souvent houleux. Rappelons, aussi, que la Sécurité Sociale rembourse les séances des orthophonistes sollicités pour remédier à des troubles en calcul ! Nous parlons bien de calculs en mathématiques ...

Exit la dyscalculie ! Les portes s’ouvrent en grand sur les vraies raisons des difficultés qui sont, essentiellement environnementales et pédagogiques. Innumérisme, donc ; l’Association pour la Prévention de l’Innumérisme est crée en août 2009. Après plusieurs rendez-vous au ministère pour communiquer les résultats de l’étude, l’Éducation Nationale adopte ce changement sémantique, qui est aussi une évolution de fond, le 31 janvier 2011, à l’occasion de son « Plan sur les Sciences ». La commission des néologismes est saisi pour faire enregistrer le terme, dès 2010.

L’abandon de la piste dyscalculie est relayé par de nombreux médias nationaux ou régionaux. L’Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public s’empare du sujet dans son bulletin de juin 2010 « Math et Psycho » [8] où les thèses défendues par l’association sont, entre autres, exposées [9] : C’est un peu une révolution ou ‘un miracle’, comme l’indique l’édito’ d’associer la Mathématique et la Psychologie dans cette revue.

In extremis, à la suite de notre intervention, le parallèle entre l’illettrisme et l’innumérisme est introduit par l’article 9 de la loi de Refondation de l’école publiée en juillet 2013 (Annexe).

Enfin, la Commission Générale de Terminologie et de Néologie a publié au Journal Officiel du 16 avril 2014 les définitions de l’innumérisme et du numérisme. Nous avions demandé d’introduire, aussi, le concept de numératie. La commission s’est appuyée sur la terminologie américaine en se limitant à ces deux mots, ci-dessus. Nous sommes d’accord, le numérisme, c’est bien la capacité de savoir calculer (l’innumérisme étant l’incapacité de …). Nous parlons bien, alors, d’une situation dans laquelle se trouve une personne. Le terme de numératie, adoptée au Québec et par l’OCDE dans ses rapports Pisa, notamment, a un autre sens : il s’agit des compétences, et non plus de la capacité d’un individu (ou de son incapacité), qui est une qualité que l’on peut acquérir (ou non). La numératie minimale, c’est ce socle commun espéré pour tous, qui regroupe, par exemple les 60 compétences ou notions, dont 40 en primaire, que l’on doit acquérir en maths pour être capable de faire bien ce que l’on demande à l’école mais, surtout, ensuite, de résoudre les situations de la vie. Et bien, nous referons un nouveau dossier et la commission nous répondra dans … quatre ans, ce qui est, reconnaissons le, bien peu à l’échelle de la vie d’une langue.

Illettrisme et Innumérisme, pourquoi se focaliser sur l’innumérisme ?

2013 a été l’année de la lutte contre l’illettrisme, officiellement. Il y aurait 10 % d’illettrés dans la population française, et un peu plus quand on prend en compte les petits lecteurs et ceux qui font quelques fautes d’orthographe ! On entend même des plaintes, avec l’accent facilement reconnaissable de certains quartiers de la capitale : « vous vous rendez compte, ma femme de ménage est illettrée ! » Le ménage est cependant bien fait mais, au plan personnel, c’est, n’en doutons pas, un handicap dévalorisant, que la société doit, assurément, prendre en compte. Nous sommes, pour une fois d’accord, avec ces français qui habitent à l’ombre (le matin) de la Tour Eiffel : la lutte contre l’illettrisme constitue une priorité nationale. Cependant, si les conséquences économiques existent, bien sûr, elles ne sont pas rédhibitoires. Tout le monde fait des fautes d’orthographe, et on améliore, pendant toute la vie, ses compétences en littératie.

En revanche, pour l’innumérisme, c’est beaucoup plus grave. Un certain snobisme ambiant minore le problème. Combien de journalistes, de professeurs de français, de politiques, sûrs et fiers de bien pratiquer la rhétorique, se font presque un honneur d’être mauvais en maths et en calcul, comme si l’éloquence suffisait ? Les conséquences économiques sont, maintenant, surtout ici, bien démontrées et perçues.

N’oublions pas la phrase complète de la loi, « La lutte contre l’illettrisme et l’innumérisme constitue une priorité nationale ... ». Et, là, une grande part de la population est touchée, et pas seulement vos femmes de ménage, chers concitoyens. Mais l’avantage considérable dans cette lutte, sur deux fronts, c’est que à l’image de la stratégie habituelle de Napoléon, ou de celle de Hindenburg, à la bataille de Tannenberg, nous pouvons nous occuper d’abord du plus faible, que l’on va pouvoir éradiquer rapidement ( en quelques années ?). Contre l’innumérisme, et au contraire de l’illettrisme avec lequel il faudra ferrailler, ensuite, beaucoup plus longtemps, il suffirait, au niveau individuel, de quelques petites dizaines d’heures, selon les expérimentations [10], menées par nos associations, pour remettre en selle un apprenant désarçonné. Conséquences plus graves, remédiations plus faciles, n’hésitons pas !

Chaque individu a-t-il en lui la bosse des maths ?

On ne parle plus de cette pathologie qui condamnait définitivement les nuls en maths. Bienvenue à l’innumérisme, situation handicapante, certes, mais dont on pourrait sortir très facilement et très rapidement. N’en déplaise à tous ceux qui pensent que l’on doit resservir les mathématiques comme on les a reçues depuis des décennies, voire des siècles, et qui vous renvoient à vos études en disant qu’il n’y a pas de recette miracle : nos expérimentations, il est vrai limitées encore à quelques centaines d’élèves, semblent montrer que de petits miracles se produisent, assez systématiquement. Postulons que la bosse des maths existe dans chaque cerveau d’écolier, d’élève ou d’adulte, fort de ses 100 milliards de neurones, de ses 100 000 milliards de dendrites et de son million de milliards de synapses.

Ce qui est certain, c’est qu’effectivement, il n’y a pas de méthode miracle déployée actuellement à l’école primaire. Nous constatons un an de retard, en moyenne, chez les écoliers par rapport à 1987. Les classements Pisa, à 15 ans ne sont pas satisfaisants (c’est un euphémisme pour éviter l’ire de certains) et l’origine de ces déconvenues se trouve surtout à l’école. Les premiers tests sont, en effet, de niveau primaire. Le classement Piaac des adultes, est, là, vraiment catastrophique et les fondamentaux évalués renvoient au CM2 !

Mais quelles ont été les expériences positives conduites depuis les années 1980 ? Difficile d’en citer une seule. Un lecteur nous viendra peut-être en aide. Par contre on peut citer au moins deux expériences négatives, l’abandon de la règle de trois dans les années 1980 et le comptage-numérotage en maternelle, introduit en 1987.

Faut-il accepter ce déclin relativement à nos partenaires, en nous contentant de nous flageller, ou bien est-il temps de réagir et d’expérimenter, d’expérimenter encore, d’expérimenter toujours pour prendre en compte les nouvelles données des neurosciences, par exemple. Stanislas Dehaene nous rappelle à chacune de ses interventions que les enseignants ont tort de ne pas se pencher plus avant sur ces avancées récentes. Sont-ce ces avancées qui ont conduit aux techniques que nous proposons et expérimentons ? Non, bien sûr, elles sont antérieures, mais, aujourd’hui, après coup, nous les évaluerons à la lumière de ces découvertes sur le fonctionnement du cerveau, dans un prochain article.


Constructivisme et mathématiques

Les auteurs du siècle dernier, à la mode ?

Après avoir démontré la marginalité de la dyscalculie, Jean-Paul Fischer attire notre attention, en conclusion de l’étude [11] qu’il dirige : « Pour compter des moutons, il faut des moutons, et non pas des jetons … Nous postulons que c’est ce processus d’abstraction réfléchissante, dont Piaget souligne qu’il est seul à l’œuvre en logique et mathématiques pures ... »

Au contraire de l’apprentissage du langage avec ses millions d’ « entrées » en mémoire, pour la mathématique c’est beaucoup plus simple : une seule entrée et une construction linéaire selon le modèle piagétien de l’échelle « logico-arithmétique » (Annexe) ! Piaget [12] oppose l’abstraction empirique en une étape pour les concepts quotidiens du langage et l’abstraction réfléchissante [13] en deux étapes pour les notions mathématiques. Ainsi une rose ou un cheval sont des mots immédiatement signifiants grâce à l’image mentale associée. Le mot vilebrequin ne va pas être signifiant pour tout le monde, certains n’ayant pas l’image du concept technique correspondant (un pédalier, par exemple). En maths, la multiplication est associée au signe ’X’, ce qui n’apporte rien sur le sens de la notion. Dans ce cas, le mot n’est pas signifiant, comme pour le vilebrequin.

Figure 1 : Schéma de l’abstraction réfléchissante selon Piaget

Dans les relations logico-arithmétiques, Piaget décrit (figure 1) le processus d’abstraction réfléchissante entre deux paliers, Pn et Pn+1 ou P’n+1, avec ses deux composantes, le réfléchissement (autrement dénommé différenciation) et la réflexion (autrement dénommée intégration ou généralisation).

A partir d’un concept d’ordre n, la différenciation suivie de la généralisation forment un nouveau concept d’ordre supérieur n+1.

Cette démarche décrite pour les opérations arithmétiques est aussi valable dans la construction du nombre et les raisonnements mathématiques en général ; la démonstration est effectuée une fois, dans un cas particulier, R1 + R2 + R3 + r, et par la suite on utilise des formules, des raccourcis ou des automatismes, R’ + r’. L’exemple de la recherche de la dérivée d’une fonction à partir du nombre dérivé permet d’illustrer cette représentation d’un raisonnement mathématique. Pour conduire la démonstration, les acquis à utiliser sont la définition de la tangente d’un angle, la division, les règles de calcul sur les polynômes, sur les limites (soit R1, R2, R3, ...) ; on peut généraliser ce type de démonstration (r) ; mais on peut conduire un raisonnement plus rapidement en utilisant les formules de dérivation (R’ + r’). Cependant le concept de dérivée sera fixé définitivement à la condition que la démonstration ait été conduite et comprise au moins une fois et qu’une image associée (figure précise) soit mémorisée .

Cette construction par paliers des savoirs mathématiques est reprise par « le programme en spirale » de Bruner [14] qui introduit, en plus, un mouvement de répétition pour faciliter une progression éventuellement plus lente vers l’abstraction. Les deux modèles sont expressifs mais ils ne mettent pas en valeur les conséquences d’une abstraction non aboutie ou d’un concept non « fixé ». Le sujet se trouve alors dans la situation suivante : Il manque un barreau à l’échelle de meunier (Piaget) ou une marche à l’escalier en colimaçon (Bruner), Nous sommes dans ce cas de figure lorsque la multiplication et la division ne sont pas assimilées, par exemple. Que se passe-t-il alors ? Piaget et Bruner n’ont pas envisagé ce cas de figure. Le modèle que Vygotski [15] a noté « Zone Prochaine de Développement » est plus complet. Le qualificatif ’Prochaine’, voulant bien dire la plus proche, est préféré par la traductrice au terme savant de « Proximal » emprunté au monde médical [16]. Le modèle de la ZPD est voisin des deux autres modèles mais il interdit toute progression au delà d’un élément manquant, puisque l’on part d’une zone supposée connue !

Vygotski [17] complète cette construction « en unissant les apports du langage et les perceptions visuelles techniques dans l’unité de base (edinica en russe) » pour une bonne mémorisation [18]. Dans la construction de chaque notion mathématique, un modèle en trois étapes semble s’imposer :

Faire du neuf avec du vieux, la règle d’or

Les termes choisis, pour désigner les étapes du modèle, sont plus simples et plus parlants que ceux utilisés par les auteurs constructivistes, dans leur monde de psychologues :

Abstraction réfléchissante
Unité de base mémorisée
Transition
Généralisation
Représentation
(à partir d’un exemple concret)
(Définition, théorème, formule,...)
(Image technique mentale)

Quoi de neuf avec ce modèle ? Dans un cours structuré, au collège ou au lycée, on parle, pour la première étape, de motivations, d’activités, d’investigations, etc.. La notion de Transition apporte, en plus, une idée de progression facilitée, d’un niveau connu à un niveau inconnu voisin, grâce à l’intervention de l’enseignant. La Généralisation ? C’est bien sûr le théorème, la formule, la propriété que l’on retrouve systématiquement dans chaque cours. Les enseignants respectent donc les premières règles et font du constructivisme sans le savoir. Par contre, la Représentation fait appel à une image technique qui, souvent n’est pas proposée à l’élève. On lui laisse la liberté du choix de son image mentale. Ce n’est peut-être pas une bonne idée. Prenons l’exemple de la propriété de Pythagore ; chez les adultes, hormis les profs de maths, les parents ayant accompagné récemment un collégien, et certains artisans, la formulation verbale de la propriété est oubliée depuis longtemps. Les deux premières étapes, ont été certainement respectées lors de l’apprentissage. Les carrés associés aux côtés permettent la Transition, c’est à dire le passage d’un palier connu, l’aire des carrés, à un nouveau palier inconnu, une des aires est égale à la somme des deux autres ; la Généralisation, c’est le théorème de Pythagore, qui prend la forme d’un texte et d’une formule. Cependant, aucune image technique, qui aurait permis la mémorisation sur le long terme et donc le possible retour à la Généralisation, n’a, probablement, été associée ou proposée, d’où l’oubli général. La figure du triangle rectangle, n’est pas une bonne image technique ; seule, elle ne permet pas le retour à la Généralisation et une formule c’est compliqué.

1 -Transition 2- Généralisation 3 - Représentation
Les aires AB², AC², BC²



BC² = AB² + AC²
Dans un triangle rectangle, le carré de la mesure de l’hypoténuse est égale à la somme des carrés des mesures des deux autres côtés
BC² = AB² + AC²
La corde à 13 nœuds :
5² = 3² + 4²
Figure 2 : Théorème de Pythagore

L’expérience montre que la corde à 13 nœuds est une image forte qui ne s’oublie plus et qui, bien sûr, permet de retrouver le théorème grâce à la série des mesures des côtés, (3, 4, 5). C’est donc bien une « unité de base », associant les apports du langage (13 nœuds et donc 12 intervalles) et l’image technique au sens de Vygotski (une corde), à partir de laquelle on peut retrouver la propriété générale.

Et à l’école primaire ?

Cet exemple, issu du programme de collège, illustre bien le modèle qui est respecté au collège et au lycée, sauf en ce qui concerne, quelquefois l’image technique de la Représentation. Mais en primaire, que se passe-t-il ? Est-ce que de telles approches sont utilisées pour les apprentissages de base ? Comment sont construites les notions fondamentales ? Elles sont construites au tableau, sans différencier les trois étapes, à grand renfort de « fichiers », ces pleines pages d’exercices d’applications qui, sous prétexte de diversité, finissent par noyer définitivement les écoliers fragiles. On ne juge pas nécessaire pour des choses aussi simples d’appliquer une logique rigoureuse.

Construire logiquement la multiplication, la généraliser, adopter une bonne image mentale de la notion, c’est aussi important que le même processus pour faire comprendre ce qu’est une dérivée. Dire que la multiplication c’est une somme d’addition ne suffit pas et l’image du signe ’X’ ne servira à rien. On compte sur ses doigts et ce serait bien. On change, à chaque année, d’enseignant mais aussi de méthode. Les coordinations de cycle touchent peu aux méthodes, liberté pédagogique oblige. On avance au rythme des meilleurs. Or, ce sont justement ces années qui sont cruciales pour le calcul. L’échec en maths, c’est l’échec tout court. Améliorer l’écriture, la lecture, avant tout ? Oui, mais nous montrerons, dans la troisième partie, avec des 4ème SEGPA, que le calcul n’en est pas dépendant et pour l’orthographe, on a toute la vie pour s’améliorer. Nous rappelons que l’étude de la DEPP [19] montre une quasi-stabilité des résultats en lecture et en orthographe entre 1987 et 1997 et une baisse un peu plus prononcée entre 1997 et 2007. La même étude note un effondrement en calcul. La priorité est évidente.

Quelles solutions ?

Elles existent assurément. En décembre 2012, la revue ANAE pose la question « Trouble du calcul ou enfants troublés par les maths ? » Une vingtaine de chercheurs [20] établissent des constats sévères dans cette étude :

« ... Laissés pour compte », « ... mal débutés », « L’innumérisme, de quoi parle-t-on ? »

http://www.innumerisme.com/imagesclients/pdf/9575.pdf

Ils proposent aussi des solutions pédagogiques nouvelles pour sortir de cette ornière qui se creuse au fil du temps : « ... reprendre la main », « Évaluer les troubles ... », « Améliorer les compétences ... »,

Au delà des difficultés avec la matière, que l’ANAE analyse, Jérôme Bruner [21] cite et adopte la proposition de J. Selly Brown en parlant « de l’intelligence non pas comme d’une chose qui se trouverait ‘dans la tête’, mais comme quelque chose qui est ‘distribuée’ dans le monde qui entoure un individu ». C’est bien l’habitus de Bourdieu et l’environnement social qui se trouvent ainsi mis en avant.

Les ‘maîtresses’ ou les ‘maîtres’ le savent bien en recevant des enfants dont le niveau de préapprentissage scolaire est très inégal ; pour simplifier et de manière tranchée, il y a des enfants « à qui on a lu des histoires » et des enfants dont la nounou a été la télévision, qui découvrent les livres à l’école. Assister à un cours de maths en CP, est particulièrement instructif : la majorité des enfants n’a pas appris à être attentif Cette attitude condamne à l’inefficacité toute approche abstraite au tableau.

Que faire, donc ?


La numération positionnelle décimale

Ce qu’il ne faut pas faire

Rémi Brissiaud [22] stigmatise avec raison, le numérotage-comptage introduit en maternelle en 1987 et la file numérotée en CP ; il insiste sur la base cinq. Le nombre en maternelle est surtout présenté, involontairement, comme un nombre ordinal, alors que l’enfant s’est approprié depuis la prime enfance le nombre cardinal. Nous le montrons dans le prochain paragraphe.

On compte les jetons sur la table, on compte les présents : « Ah ! Je suis le numéro huit ! ». Brissiaud pense, même, que cette introduction en 1987, est responsable de l’effondrement des niveaux en calcul. De fait, lorsque vous demandez à un élève de CP de montrer huit doigts, souvent, l’enfant compte sur la main droite, un, deux, trois, quatre, cinq, en se servant de la main gauche, puis il change de main et continue avec la main gauche en s’aidant de son menton ...

Jean-Paul Fischer [23] oppose la mémoire déclarative (par cœur) peu fiable dans le temps, à la mémoire procédurale (construite) beaucoup plus efficace et pérenne. L’école devrait s’inspirer grandement de ces conclusions dans l’apprentissage des tables.

Les notions spontanées

Selon Vygotski [24], l’école doit s’appuyer sur ces concepts quotidiens ou spontanés qui formeront les « unités de base » dans les premiers apprentissages en se souvenant de la remarque de Tolstoï, qu’il reprend à son compte : « Le mot est presque toujours prêt lorsque le concept l’est ! »

Piaget lui a répondu [25], bien après sa disparition, en soutenant la même idée, alors que Vygotski pensait être en désaccord sur ce point avec son confrère : « ... l’école qui ignore tout le parti qu’elle pourrait tirer du développement spontané des élèves ».

Dehaene confirme [26], presque un siècle après « que le sens du nombre ... est en grande partie défini sur une base génétique ». Et si cette intuition numérique humaine, le nombre approximatif, l’espace numérique ou la droite numérique « qui ont des racines très profondes dans le cerveau [27] » n’étaient que des concepts dérivés de la notion d’égalité et de partage qui a émergé depuis au moins un million d’années autour du feu ? Et si tous ces concepts innés fossiles ne demandaient qu’à être réactivés dans une progression respectueuse de la chronologie des acquis du cerveau humain ? Dehaene parle de « recyclage d’anciens circuits cérébraux évolutifs au service de nouveaux mécanismes culturels [28] ».

Recherchons ces notions fossiles :

*** L’égalité ; les cinq axiomes d’Euclide, qu’il nomme les notions naturelles, définissent en fait l’égalité, le tout, la partie ;

*** Le partage, est non équitable, dans un premier temps ;

*** Les quantités jusqu’à trois (l’enfant, le père, la mère) ;

*** les tableaux (la répartition autour du foyer, autour de la table) ;

*** la base cinq (les doigts d’une main).

De nombreuses expériences, dont celles de Karen Wynn rapportées par Stanislas Dehaene [29], semblent démontrer que les bébés de quelques mois ont une capacité numérique précoce ; ils peuvent reconnaître les quantités jusqu’à trois : Le bébé a vu deux poupées derrière l’écran ; si une troisième est introduite et que le nombre est toujours de deux, le bébé est surpris. Si le nombre est de trois, le bébé est rasséréné. A partir de deux ou trois ans, le doute n’est plus possible, l’enfant peut partager des quantités de bonbons à son avantage, mais, après une remontrance ou un rapide apprentissage, il peut intégrer l’égalité, le partage équitable. Représenter les quantités avec les doigts d’une main, est naturel comme chez certains peuples racines d’Océanie ou d’Amazonie (Munduruku) qui ont des mots pour en nommer cinq, un, deux, trois, une poignée, une grosse poignée. Le système de numération romain s’appuie sur la même représentation en base cinq.

Le regroupement en classe d’objets, l’inventaire, la sériation, toutes ces notions se construisent aisément en tableaux dès les petites sections de maternelle. La construction des tableaux d’inventaire, de partage équitable, de troc, de proportionnalité, n’est pas loin. Est-ce surprenant pour des notions déduites quasi-immédiatement des notions spontanées ci-dessus, et qui apparaissent historiquement bien avant les premiers essais de numération, il y a moins de 10 000 ans, et les 4 opérations, depuis seulement 800 ans en Europe ? En quoi serait-il surprenant que les notions les plus anciennes soient les plus profondément ancrées dans le cerveau humain ? L’association pour la Prévention de l’Innumérisme préconise [30] de construire ces notions, à l’école, avant la numération. Les enseignants sont nombreux à constater que la proportionnalité est parfaitement comprise en GS, lors de la fabrication d’un gâteau aux yaourts, et plus du tout en CM2, devant le même exercice, cette fois sous forme d’un énoncé verbal (évaluations CM2 en 2013). Entre les deux classes, on a coupé le fil d’Ariane de la proportionnalité. Ainsi la nécessité de construire la numération au-delà des possibilités offertes par les mains apparaîtra très vite avec les tableaux de partage équitable, de troc ou de proportionnalité. C’est une justification, du même coup, du nombre chez l’écolier de CP.

Les chiffres romains, copie conforme des mains ?

Que disent les chiffres romains ? I, II , III barres ou doigts, jusque là tout va bien. Stanislas Dehaene explique [31] que dans toutes les écritures des civilisations du monde il y a un, deux trois, représentés toujours à peu près de la même façon et le reste des chiffres à partir de quatre où règne une grande diversité. Il explique cela par les limites de notre capacité de discrimination numérique. Autrement dit, nous ne pouvons nous représenter mentalement que les quantités jusqu’à trois, trois traits, trois étoiles, trois perles, etc. Les collections de points sur les dominos font exception. Les points ne sont pas disposés de façon aléatoire, ils sont rangés dans des figures géométriques, diagonale, carré ou rectangle.

L’écriture romaine originelle IIII, posait une difficulté de discrimination qui justifie l’évolution vers l’écriture plus récente IV (écart de un à cinq ou complément de un à cinq). Comment reconnaît-on immédiatement quatre doigts levés, alors ?

Ce que l’œil perçoit immédiatement c’est le doigt replié, donc le complément à cinq est quatre. Et pour cinq ?

Pas de doigt replié, donc le complément à cinq est nul, donc il s’agit du nombre cinq.

Ensuite la main complète vient à notre aide : Le V romain représente l’angle d’une main de 5 doigts entre pouce et index.

On ne peut avoir une image mentale des colonnes du Parthénon (huit, dans le sens de la largeur), ou des arches du pont du Gard , ci-dessous, ou des systèmes didactiques utilisant des jetons, dont le nombre est supérieur à quatre. On est obligé de compter :

Cependant la représentation ci-dessous est parfaitement claire, une main et trois doigts, soit VIII (3 modulo 5). L’image est parfaitement reproductible mentalement.

Ensuite les deux mains complètes viennent à notre aide :

Les pouces se croisent, d’où le X romain.

Le vieil outil dépoussiéré

Le boulier didactique [32] conçu par l’Association pour la Prévention de l’Innumérisme est dérivé du boulier chinois (Suanpan), XIIIème siècle, qui est lui-même, n’ayons pas de complexes, inspiré de l’abaque romain, après une adaptation au système décimal :

Conventionnellement, on peut réserver la colonne jaune à la représentation des unités pour laisser, à droite, trois colonnes aux décimaux.

Le boulier didactique et le boulier chinois, prennent la suite parfaite de la représentation des nombres [33] par les mains et les doigts, ce qui n’est pas le cas des autres bouliers, type soroban, le boulier japonais ; en effet, l’échange cinq doigts contre une main est reproduit par l’échange de cinq unaires contre une quinaire.

Le passage à la dizaine se fera aussi par un échange :

A l’image des américains, les jeunes se tapent dans les mains, en disant :

« Give me five ou donne m’en cinq » avec une main,

« Give me ten ou donne m’en dix » avec les deux mains.

De la même façon, l’écolier, lors du passage à la dizaine peut taper dans les mains d’un copain pour échanger dix contre une dizaine. A ce moment là ses doigts sont à nouveau disponibles pour de nouvelles représentations, avec le concours du copain, des unités d’un nombre au delà de dix.

Le boulier est l’outil qui prend l’exacte suite des doigts et des mains avec les mêmes règles de représentation et les mêmes techniques d’échange.

Les images de boulier qui suivent ont été crées à partir du boulier virtuel IREM/SESAMATH.

J’échange 5 doigts (unaires) contre une main (quinaire) :

Puis :

J’échange encore 5 doigts (unaires) contre une main (quinaire) :

J’échange deux mains (quinaires) contre une dizaine :


La Transition :

Chaque nombre, dans le système de numération positionnelle décimale se construit à partir du nombre précédent, par exemple, par rapprochement d’une perle, puis par un regroupement et un éventuel échange. C’est la première étape de la règle psycho-pédagogique.|

La Généralisation :

Chaque nombre a une seule représentation, sachant que les éventuels échanges aboutissent à l’utilisation d’un minimum de perles activées. C’est la deuxième étape de la règle psycho-pédagogique.
La Représentation :

Chaque nombre peut se lire à partir des seules quantités de perles immédiatement discriminées, activées ou non. L’œil perçoit le nombre de perles activées jusqu’à trois. Si une perle est désactivée, le nombre est le complément à cinq, donc quatre. S’il n’y a pas de perle désactivée, le complément à cinq est donc le nombre lui-même. Le même raisonnement s’applique entre cinq et dix. Le complément à cinq, c’est le complément à dix. Ce traitement visuel des quantités de perles se fait automatiquement et installe une image, qui sera « l’unité de base » du calcul mental. Quelque soit le nombre, la représentation mentale donne une idée de la quantité.

Dans les calculs, addition, soustraction, multiplication, division, les retenues apparaissent systématiquement et prennent la forme de l’échange de deux quinaires. Ce n’est pas le cas des bouliers du type soroban.

Les quatre opérations s’effectuent en utilisant les mêmes techniques opératoires que dans les opérations posées. Le boulier facilite la construction des tables d’addition et de multiplication [34] par chaque écolier, en permettant les démarches de Transition, de Généralisation et de Représentation de chaque résultat. Un livret du tuteur explicatif, complémentaire du livre « Méthode des Abaques [35] » aborde les applications du boulier à l’ensemble du programme de l’école primaire et est téléchargeable sur le site de l’association :

http://www.ecoavenir.fr/imagesclients/pdf/9228.pdf


www.editions-abacus.com

Nombres entiers, mais aussi décimaux !


Tableau récapitulatif de la construction du nombre


Notion ou conceptAbstractionSymbole écritAutre symboleReprésentation habituelleReprésentation au boulier
Représentation mentale
Cheval empirique
Oui
Rose empirique
Oui
Philosophie à construire
$\varphi $
Non
Zéro à construire
0
Non
Oui
Un spontané
1
I
Oui
Oui
Deux spontané
2
II
Oui
Oui
Trois spontané
3
III
Oui
Oui
Quatre à construire
4
IV
Non
Oui
Cinq à construire
5
V
Non
Oui
Six à construire
6
VI
Non
Oui
Sept à construire
7
VII
Non
Oui
Huit à construire
8
VIII
Non
Oui
Neuf à construire
9
IX
Non
Oui
Dix à construire
10
X
Non
Oui
Dix-un (onze) à construire
11
XI
Non
Oui
Dix-deux (douze) à construire
12
XII
Non
Oui
Dix-trois (treize) à construire
13
XIII
Non
Oui
... à construire
,,,
,,,
Non
Oui
Cinquante-neuf à construire
59
LIX
Non
Oui
,,, à construire
,,,
,,,
Non
Oui

N.B. : Les nombres symbolisés par les chiffres romains et les chiffres arabo-indiens pourraient être représentés mentalement à partir de la représentation des doigts en base cinq ; c’est beaucoup plus compliqué qu’au boulier, surtout à partir de dix.

La numération de Condorcet

En 2050, les francophones seront 850 millions, soit 10 % de la population totale. Il ne sera plus supportable d’infliger à tous ces enfants les irrégularités de la langue pour construire les nombres. Nous avons, en effet, besoin de 20 mots au lieu de 10 dans la plupart des autres langues (sauf en anglais, 12 et en espagnol, 16). L’usage de la numération de Condorcet éviterait de faire perdre un an d’école, selon certains, par rapport aux locuteurs d’autres langues. Si la Seine-Saint-Denis avait porté le numéro nonante trois, les jeunes n’auraient pas été obligés d’inventer le neuf - trois pour rendre intelligible le quatre-vingt-treize. Indissociable du boulier, le système de Condorcet (en Annexe) s’apprend en deux minutes. Il réconcilie les enfants avec la logique mathématique. Certains adultes se remémorant leur CP utilisent le terme de ’fourberie’ en évoquant leur ressentiment à l’époque, lors de l’apprentissage de la numération. En attendant l’accord de l’Académie française, qui bloque ce dossier, les deux systèmes peuvent très bien cohabiter. Après la guerre, certaines régions de France, frontalières, avaient recommandé de débuter avec les enfants par le système de Condorcet avant de revenir au système officiel. Ce nouveau dossier devrait être présenté à la commission de terminologie.

Le boulier didactique virtuel, un vrai TICE

Est-on acteur ou spectateur devant un jeu ou une animation interactive sur un écran d’ordinateur ? Selon Thierry Chaminade [36] , et ses auteurs référents, la zone de Broca s’active lors de la taille d’outils comme lors du contrôle du langage. La généralisation des phénomènes impliquant les neurones miroirs, où l’observateur imite intérieurement les gestes de celui qu’il regarde, serait à l’origine de cette évolution et des apprentissages. Taille des silex, langage oral, langage écrit, langage numérique...

Lors des apprentissages à l’écran, sommes-nous dans la représentation ou dans l’action ? La réponse à cette question conditionne l’utilisation d’outils informatiques à l’école primaire. Nous conjecturons que nous sommes dans l’action grâce aux phénomènes miroirs. Le boulier en ligne interactif devient un outil pour une vraie activité pédagogique, avec le sens haptique en moins, malgré tout. Comme tous les autres sens, le sens du toucher est important dans les premiers apprentissages, selon le sens commun, ce qui est confirmé scientifiquement par Edouard Gentaz [37].


Boulier virtuel Sesamath : http://cii.sesamath.net/lille/exos_boulier/boulier.swf


Conclusion et proposition

Plusieurs associations [38] pour la prévention de l’innumérisme régionales interviennent en partenariat avec les mairies, dans le cadre des activités périscolaires, notamment en utilisant les bouliers didactiques pour les niveaux de grande section et les écoliers de primaire. Les yeux pétillent lors de ces séances.

Nous avons expérimenté, dans des classes pilotes de collège, de LP et de CFA, l’utilisation des tableaux [Partie-Partie-Tout] et de [Proportionnalité court], avec l’aide ou non du tableur, pour la résolution des situations de la vie ; les résultats sont très encourageants et ils seront traités dans la troisième partie. L’Association pour la Prévention de l’Innumérisme met en place des expérimentations en 2014-2015, cette fois pour la numération, avec l’utilisation de bouliers didactiques, outils réels ou virtuels. Ces expérimentations doivent concerner des cohortes d’écoliers et s’étaler sur trois années de la Grande Section, jusqu’au CE1. Les candidatures d’écoles sont les bienvenues.

L’objectif est de montrer qu’au-delà de l’outil pédagogique, il y a un intérêt psycho-pédagogique. On ne peut chasser tout ce qui est « abstrait » et qui est difficile d’accès pour les élèves qui ont un important déficit d’attention. Essayons, au moins, de construire l’abstraction en respectant les étapes du modèle, une transition concrète, une généralisation et une représentation mentale et analysons les résultats.


Michel Vigier,

ingénieur ENSC Clermont Ferrand,

professeur de mathématiques

Président Association pour la Prévention de l’Innumérisme



Bibliographie

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Bruner (J), L’éducation, entrée dans la culture. Les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle. Retz : Paris, 1996.

Chaminade (T), Parler comme on taille des silex, La Recherche n° 476, juin 2013.

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Fischer (JP), La Dyscalculie Développementale, revue ANAE N° 102 juillet 2009, p. 185.

Fischer (JP), Que sont nos tables devenues, Psychologie et Education , pp. 97-109, 2012-4.

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http://webcom.upmf-grenoble.fr/LPNC/LpncPerso/Permanents/EGentaz/web/.

OECD (2013), OECD Skills Outlook 2013 : First Results from the Survey of Adult Skills, OECD Publishing.

http://dx.doi.org/10.1787/9789264204256-en.

Lien vers l’OCDE et les rapports Pisa,

http://www.oecd.org/pisa/.

le rapport complet, en anglais, Pisa 2012,

http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/pisa-2012-results-volume-I.pdf.

le rapport résumé, en français,

http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/PISA-2012-results-volume-I-FR.pdf.

OCDE Base de données STAN pour l’analyse structurelle

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Vygotski (LS), Pensée et Langage, 1934, Moscou, censuré en 1936, 1956, traduction Seve (F) 1997.


Annexe

Article de la loi de Refondation de l’école

« Code de l’Éducation, Article 9, L. 121-2. – La lutte contre l’illettrisme et l’innumérisme constitue une priorité nationale. Cette priorité est prise en compte par le service public de l’éducation ainsi que par les personnes publiques et privées qui assurent une mission de formation ou d’action sociale. Tous les services publics contribuent de manière coordonnée à la lutte contre l’illettrisme et l’innumérisme dans leurs domaines d’action respectifs. 25/06/2013 »


Le système de Condorcet.

1. Les unités s’appellent : un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf.

2. Les dizaines s’appellent : dix, duante, trente, quarante, cinquante, soixante, septante, octante ou huitante, nonante.

3. Les nombres de 10 à 99 s’obtiennent en reliant le nom de la dizaine et celui de l’unité (s’il n’est pas nul) par un trait d’union : dix-deux (12), dix-trois (13), dix-quatre (14), dix-cinq (15), dix-six (16), dix-sept (17), dix-huit (18), dix-neuf (19), duante-cinq (25), trente (30), quarante-un (41), septante-huit (78), huitante-neuf (89), nonante-trois (93).

4. Les nombres de 100 à 999 s’obtiennent en faisant précéder le mot « cent » par le nombre de centaines, s’il est supérieur à un, et en le faisant suivre par les dizaines et unités : cent duante (120), deux cent (200), cinq cent trois (503), sept cent nonante-un (791).

5. De 1000 à 999 999, on fait précéder le mot « mille » du nombre de milliers, s’il est supérieur à un : mille sept cent nonante-quatre (1794), cent duante-trois mille quatre cent cinquante-six (123 456).

6. Les nombres plus grands sont divisés en tranches de trois chiffres portant les noms mille (10^3), million (10^6), dillion (10^9), trillion (10^12), quadrillion (10^15), etc. : un dillion (1 000 000 000), cent trente-trois trillions deux mille dix-trois (133 000 000 002 013).


L’Échelle Logico-Arithmétique