Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Narration de recherche : Les mathématiques et la vie
Article mis en ligne le 10 janvier 2013
dernière modification le 15 juillet 2014

par Gérard Vinot

Gérard Vinot venait à peine de mettre un point final à l’article qui suit, qu’il disparaissait brutalement. Nous nous associons à l’hommage de Sésamath à ce collègue, personnalité chaleureuse, qui fut actif dans de nombreux domaines.

Voici une situation où se sont confrontées les maths qu’on enseigne et la condition de parent.

Voilà pourquoi j’aime les mathématiques et tout le travail que j’ai pu faire dans Sésamath.

Je suis aujourd’hui un peu rangé des voitures tant professionnellement que « sésamathiquement » pour des raisons qui importent peu au lecteur.

La fille de ma récente copine a un D.M de Maths. Et voilà une belle occasion de me faire valoir. Elle est en Seconde et je me fais fort de prouver ma science de professionnel de la chose et ainsi de gagner les faveurs de la mère et de la fille. Pas intéressante ma vie, passons à ce qui nous intéresse.

L’énoncé :

IJKL est un parallélogramme. I,J,K et L sont les milieux respectifs de [AB], [BC], [CD] et [DA]. Le parallélogramme IJKL est tracé. Construire A, B, C et D.

Je suis un être humain :

Je lis l’énoncé en diagonale et ABCD doit être un parallélogramme. Je me dis (in petto) : « Voilà t’y pas un Varignon inversé … ».

J’en arrive donc à ça :

1. Après avoir fait un rappel sur la droite des milieux, mon public en conclut qu’en traçant une parallèle à (JL) passant par I puis une autre passant par K ...

2. ... puis une parallèle à (IK) passant par L et une autre passant par J, tout cela allait nous faire un beau parallélogramme avec les intersections des parallèles. On est en plein dans l’empirique. Cela ne me gêne pas. A mon sens, elle a répondu aux consignes et expliqué sa démarche.

Dans mon vague souvenir, entre 2 regards amoureux (la scène se passe chez ma copine) on a rempli le contrat puisqu’on ne demande pas de démonstration mais une construction. Je suis content de moi, je n’ai pas donné la solution, mais amené une jeune padawan sur le chemin de la Force.

MAIS, ce qui peut faire de nous des rabat-joies de première, chers collègues, j’ai un sentiment d’inaccompli. Alors je vérifie mes dires dans mon coin par Tracenpoche. Là je vois que tout fonctionne et je ne me fatigue pas à essayer de démontrer, je pars faire ma sieste.

A mon réveil, toujours ce doute … Bizarre.

Le lendemain, je retourne chez ma copine et je vois le bouquin qui traîne encore sur le bureau. Rien ne pourra m’empêcher d’aller revoir l’énoncé et je m’aperçois que ABCD n’est pas censé être un parallélogramme mais un quadrilatère. Oups.

Pas grave, me dis-je, je n’ai pas raconté de bêtises la veille. Après tout on demandait de retrouver ABCD par construction et si j’ai construit un parallélogramme, j’ai donc construit un quadrilatère.

Mais je suis un prof de maths. Je sais que le correcteur en est un aussi. Il attend peut-être un résultat type et non pas un cas particulier. J’ai eu 3 enfants. Certaines choses ont pu m’étonner dans la matière que nous enseignons.

Donc je me dis de manière dégagée que ce n’est qu’un détail mineur que je vais mettre à bas en 5 femtosecondes.

Je prends ma feuille, mon stylo, je trace un beau parallélogramme IJKL… Rien.

On inverse , je trace ABCD quelconque puis IJKL et je cherche la construction, toujours RIEN. Avec les outils d’un élève de Seconde, RIEN.

Décidément je ne suis plus bon à grand-chose. Je téléphone à un copain, agrégé de première classe, pour lui soumettre mon problème, honteux et confus. Il est 16h. J’ai un rendez-vous médical à 16h30, il me promet de me rappeler avec la solution après 18h.

Dans la salle d’attente, sans lunettes, je trouve avec bonheur dans la poche droite de mon blouson, une feuille et un stylo et là je trouve une piste solide.

Je rentre chez moi et j’étaie ma piste à l’aide de Tracenpoche. Eureka.

La construction est d’une bêtise à pleurer (voir ci-dessous).

Mais le diable qui nous habite m’incite à vouloir démontrer.

Je ne sais toujours pas si j’ai employé un marteau-pilon pour enfoncer une punaise, mais je n’ai rien de mieux à proposer. Je suis preneur d’une solution plus élégante.

19h, le téléphone sonne. Mon copain, agrégé de première classe, me dit qu’il a réfléchi et n’a pas trouvé de solution à mon problème initial. Je me gargarise de lui donner la solution et la démonstration.

Et bien, lui comme moi, nous nous sommes posés la même question préalable, celle de l’unicité du quadrilatère ABCD. Lui, comme moi, étions persuadés intuitivement qu’il y avait unicité.

Là où j’ai été intellectuellement heureux, c’est que je me suis souvenu de ce que Tracenpoche (comme d’autres logiciels de géométrie dynamique moins proches de mon coeur), avait apporté à mon raisonnement.

Je conjecture (puisque j’ai les moyens techniques de le faire) puis , comme il semblerait que cela fonctionne, je prends mon temps pour démontrer.

Et il y a évidemment (après-coup en tous cas...) une infinité de solutions pour ABCD.

J’ai envoyé ce qui suit à mon élève de Seconde :

  1. Construction

On souhaite arriver à cette figure finale

Etape 1 : IJKL étant tracé, on place un point A quelconque.

Etape 2 : On construit B, symétrique de A par rapport à I.

Etape 3 : On construit C, symétrique de B par rapport à J, puis D, symétrique de C par rapport K. On joint A,B,C et D et on obtient la figure finale où ABCD est un quadrilatère quelconque.

Démonstration

Dans le triangle ABC, I milieu de [AB], J milieu de [BC] donc (IJ) parallèle à AC).

Or, (IJ) parallèle à (LK) puisque IJKL est un parallélogramme. Donc (LK) parallèle à (AC).

K milieu de [CD]. Dans le triangle ADC, le milieu de [AD] se trouve sur la parallèle à (AC) passant par K, c’est-à-dire la droite (KL).

De même, dans le triangle BCD, (JK) parallèle à (BD) et (JK) parallèle à (IL) puique IJKL est un parallélogramme, ce qui amène (BD) parallèle à (IL).

Donc dans le triangle ABD, le milieu de [AD] se trouve sur la parallèle à (BD) passant par I , c’est-à-dire la droite (IL).

Le milieu de [AD] est donc l’intersection de (IL) et (KL) , donc le point L.

Figure TeP dynamique pour manipuler

Annexe

1°) Gilles Aldon propose : Une autre solution utilise les transformations du plan ; on note sX la symétrie de centre X.
En partant d’un point A quelconque, on utilise la composée sL o sK o sJ o sI c’est à dire le produit des deux translations t2KL o t2IJ et comme IJKL est un parallélogramme, c’est l’identité... Plus vraiment au programme de Seconde, cependant !

2°) Ce qui précède suggère une généralisation de l’exercice : pourquoi ne pas partir d’un QUADRILATERE IJKL et chercher à construire ABCD ? Avec un logiciel de Géométrie dynamique, la nécessité qu’IJKL soit un parallélogramme ne devrait pas être impossible à conjecturer... puis à démontrer.

3°) A partir de la même idée, et en quittant le niveau de Seconde, Yves Martin suggère : A un moment, je proposais ça (mais pas en Seconde) à mes étudiants de L2, la version “longue” - mais avec la solution quand même, donc pas d’investigation vraiment - cela ressemble un peu à ceci (avec des figures dynamiques comme outil de TP).

Pour faire bref quand il y a un nombre impair de points, on peut remonter à un polygone initial et il est unique. Quand il y a un nombre pair 2k de points il faut que les barycentres des points 1, 3, 5, ... 2k-1 soit le même que celui des points 2, 4, 6, ..., 2k . Et alors il y a une infinité de solutions.

On utilise des résultats du cours sur les applications affines, et en particulier le fait que les rapports d’homothétie se multiplient quand on les compose.
Dont si n est pair, le produit est une translation qui doit avoir un point fixe donc de vecteur nul, on cherche donc à réaliser cette condition. Si n est impair automatiquement le produit est une symétrie centrale : c’est presque plus facile que quand on ne sait rien sur les homothéties.

4°) Autres généralisations, proposées par Alain Busser et à Yves Martin :

  • Dans l’espace, la construction aboutit également, quelle que soit la position du point A (mais dans ce cas ABCD est un tétraèdre).
  • Dans le plan hyperbolique, quelle que soit la nature de IJKL (s’il existe des parallélogrammes hyperboliques (diagonales de même milieu), ils n’ont pas les propriétés affines usuelles), on constate expérimentalement qu’il existe une position unique du point A pour laquelle la construction fonctionne.
  • Dans le plan elliptique, la construction aboutit toujours avec un *triangle* tripodaire (c’est-à-dire dont chaque côté est la podaire du sommet opposé). Autrement dit, si IJK est un tel triangle du plan elliptique, en notant B le symétrique de A par rapport à I et C le symétrique de B par rapport à J alors K est un milieu de [AC] (en géométrie elliptique, il y en a en général deux).

5°) Jean-Philippe Vanroyen écrit :
"Comme je l’avais déjà suggéré, l’article gagnerait à parler de la construction de la figure par les élèves à l’aide d’un logiciel de GD, d’autant qu’il s’agit de MathémaTICE !.
En effet, quand on construit la figure, on est stupéfait de constater que la position de A n’a aucune importance et que cela marche toujours.
Ce qui fait qu’une explication s’impose naturellement pour expliquer cette bizarrerie ...
A partir de là, les échanges avec les élèves se font naturellement.
Évidemment cela suppose un autre contexte (plus un DM) et un travail en salle info."