Code en Bois offre une initiation débranchée à l’algorithmique en manipulant physiquement des instructions de programmation en bois, analogues à une interface Scratch. Cet article, proposé exclusivement pour la revue MathémaTICE, présente la genèse du projet, son utilisation en classe et son intérêt pédagogique, ainsi qu’un témoignage d’une enseignante utilisatrice.
« Mais, Madame, on ne va pas en salle informatique ? » s’interroge un élève de 6e un peu désemparé, apprenant qu’il allait assister à un atelier de programmation. Il examine alors sur sa table le tas de briques en bois colorées, lève les yeux sur une sorte de labyrinthe dessiné en noir sur le tableau, et comprend, avec sur son visage un mélange de surprise et de curiosité, que l’activité prévue a bel et bien quelque chose à voir avec le cours de Scratch qu’il avait eu en fin de primaire.
Mais ce n’est pas le cas de tous les élèves de sa classe, et les initiations à la « pensée informatique » sont encore assez hétérogènes selon les établissements. L’apparition du vocable « pensée informatique » dans les nouveaux programmes est d’ailleurs une bonne nouvelle, et entérine la large utilisation de ce concept dans la littérature scientifique à partir des années 2010. Le terme est mentionné dans le rapport Villani-Torossian. [1]. 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques) pour arriver depuis l’année dernière dans les programmes de mathématiques (cycle 3 et projet de cycle 4 pour 2026). Les enseignants sont d’ailleurs encouragés à regarder sous l’angle « algorithmique » des exercices de divers domaines, ainsi qu’à débuter ces apprentissages par des activités dites « débranchées » (c’est à dire n’utilisant que des objets simples et non électriques : papier, crayon, ciseaux, bois…). C’est précisément l’objectif du matériel Code en Bois, qui vise à former les élèves aux grands concepts de l’algorithmique au moyen de pièces en bois semblables à du Scratch (ou Blockly). Sur l’informatique débranchée, la littérature ne manque pas pour expliquer l’intérêt pédagogique, mais également l’intérêt en termes de CPS (compétences psychosociales). [2] [3] [4]

- Un élève de CM2 en atelier avec Code en Bois
La « naissance » de l’outil Code en Bois remonte à fin 2021 avec la proposition d’une enseignante de CE2 à Clermont-Ferrand de faire présenter leurs métiers aux parents d’élèves sur une pause méridienne. L’idée de proposer une version de Scratch sur des blocs rigides en bois m’est alors venue assez naturellement. C’est seulement ensuite que je me suis posé la question « ce genre de chose doit sûrement déjà exister », la réponse était non, rien de similaire sur étagère ! Avec un collègue enseignant de physique et féru de Python, nous avons passé de longs moments à décider ce qui ferait partie d’un ensemble d’instructions et d’actions de base. Le logiciel Scratch, dans sa version minimale (sans les extensions), compte près de 110 briques d’instructions différentes. Or, il n’était pas question d’avoir plus d’une trentaine de morceaux de bois sur une table de classe, ni des programmes trop longs qui déborderaient vite vers pour finir par terre ! De fait, les contraintes créées par la transposition d’un outil 100% numérique vers un objet purement physique - et en bois - étaient nombreuses.
Exemple : le bois ne s’étirant pas, comment créer un bloc qui puisse contenir un nombre variable d’autres blocs ? Nous avons introduit des pièces « fin de bloc » qui rendent le code proche d’un vrai langage de programmation avec indentation.
Un long tâtonnement technologique pour fabriquer efficacement de telles briques en masse avec une production française a abouti début 2023 à une combinaison d’impression sur bois et de découpe laser : il faut imaginer un faisceau de 130 Watts concentré sur à peine 1mm² de surface, qui va vaporiser jusqu’à 1 cm d’épaisseur de bois comme si c’était du beurre.
D’ailleurs, la présence de petites imprimantes laser dans de nombreux fablabs de collège permet d’imaginer demain des projets de fabrication « maison » de briques de code ! Le matériel a régulièrement évolué au cours des 2 dernières années avec l’apparition de pictogrammes pour les non-lecteurs et d’une gamme de tailles adaptées aux situations. L’expertise de l’IREM de Clermont-Ferrand a aussi été très utile pour orienter ou écarter certains choix.

- La découpe laser de plaques de bois pour les pièces Code en Bois

- Les pièces Code en Bois finies
Les kits scolaires sont communs aux cycles 2, 3 et 4, c’est-à-dire que c’est le même matériel qui pourra accompagner l’élève pendant plusieurs années. Certaines pièces ne serviront donc pas avant le cycle 3, et en fin de collège on pourra s’aider d’une extension spécialement dédiée à la découverte des variables et des routines. Ainsi, un même kit pourra être partagé entre plusieurs niveaux, ou entre un primaire et un collège (cités éducatives, groupes scolaires) et servir un projet de liaison école-collège.
Exemples d’objectifs de compétences visés par Code en Bois :
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L’élève comprend et utilise les instructions suivantes : avancer, reculer, tourner à droite, tourner à gauche, monter, descendre. L’élève sait représenter sur un plan de la classe un itinéraire qu’il a effectué. L’élève sait coder un déplacement qu’un autre élève doit ensuite effectuer, par exemple : « avancer de deux pas, tourner à droite, reculer de trois pas ». Si un robot est disponible, l’élève peut programmer son déplacement sur un tapis quadrillé. Pour coder ces déplacements, il utilise les instructions : « avancer d’une case », « pivoter d’un quart de tour à droite », « pivoter d’un quart de tour à gauche ». Les déplacements à programmer comprennent au maximum dix instructions, dont deux virages. |
| Programme 2025 cycle 2 mathématiques | |
| Effectuer une boucle simple avec une répétition. | L’élève sait que les boucles permettent de répéter une ou plusieurs instructions plusieurs fois sans les réécrire. Il sait répéter une séquence linéaire d’instructions un nombre précis de fois en la plaçant dans une boucle inconditionnelle simple. |
| Projet de programme 2026 de mathématiques, 5e | |
| Utiliser une boucle conditionnelle. | L’élève définit des boucles conditionnelles. L’élève définit et utilise un bloc personnalisé pour structurer un programme. L’élève utilise un opérateur logique pour combiner deux conditions simples. |
| Projet de programme 2026 de mathématiques, 3e | |
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Exemple de mission
Prenons à titre d’exemple ci-dessous une mission du livret enseignant (le livret complet peut être feuilleté ici : Le livret est en accès libre ici, qui est une mission particulièrement féconde en enseignements et faisable dès le CE2 : l’objectif est d’amener le robot jusqu’au trésor en parcourant cette série de zigzags qui requiert tantôt de pivoter à gauche, tantôt à droite.
Puisqu’on dispose de seulement deux briques PIVOTE et quatre AVANCE, il est absolument nécessaire de les utiliser dans une boucle. Au moins deux solutions possibles existent, et les élèves vont souvent faire plusieurs erreurs qu’ils verront en essayant au tableau : ils proposent par exemple le motif AVANCE+PIVOTE À GAUCHE + PIVOTE À DROITE, qui échoue, car les deux rotations s’annulent et le robot continue tout droit.
Certains voudront mettre un 9 comme nombre d’itérations, ayant compté 9 cases à parcourir, oubliant que chaque répétition comporte 2 AVANCE ! Après plusieurs essais, la classe comprend les erreurs possibles et comment les éviter. C’est enfin un défi propice également à l’introduction des blocs personnalisés en 3e (qu’on appelle routines) et à l’introduction aux boucles conditionnelles (4e) si on fait varier le nombre de virages.
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| à gauche, le dessin du parcours à reproduire au tableau avec les magnets. À droite : deux solutions possibles avec les briques Code en Bois. | |
Témoignage de Mme Estève, enseignante de mathématiques dans l’académie de Clermont-Ferrand

- Travail en binôme avec des élèves de CM1
« J’ai contacté Code en Bois pour mettre en place une expérimentation dans mon collège. Mon idée première était de faire des activités lors de la semaine des mathématiques en mars 2023. Finalement j’ai intégré les activités directement dans mon cours de 4e.
Je suis dans un établissement où les élèves sont équipés d’iPad, aussi je trouvais intéressant de travailler l’algorithmique sans numérique. Les élèves ont tout de suite bien accroché à l’univers du robot et du trésor. Les règles étaient simples à expliquer et à mettre en place. Même si tous avaient des notions des années antérieures sur Scratch, le passage sur code en bois a permis de souligner des défauts de maîtrise des instructions conditionnelles et des boucles, et on a pu ainsi mettre en place de la remédiation, insister sur l’importance du positionnement des briques dans le déroulé d’un programme.
Le retour sur Scratch par la suite a été plus aisé. L’année suivante, la mise en place en cours n’a pu se faire, mais j’ai pu expérimenter une autre forme d’utilisation à l’occasion du départ en voyage scolaire d’une grande partie des 4e. Tous les élèves restants ont été regroupés, et plutôt que de faire des révisions classiques, j’ai mis en place les activités Code en Bois avec pour but sur la dernière séance que les 4e encadrent à leur tour une classe de CE1-CE2. Cette expérimentation a été une jolie découverte sur plein de points tant sur le plan mathématique que sur le plan relationnel. Les 4e ont très bien su faire découvrir la programmation aux plus jeunes, ils se sont mieux approprié des notions, car ils devaient à leur tour les transmettre aux plus jeunes.
Désormais j’utilise code en bois en classe de 4e pour amorcer la programmation, en 3e plutôt en remédiation. Je continue à intervenir dans la classe de primaire d’une collègue. Nous faisons des séances d’initiation en demi-groupe, puis en classe entière, nous proposons aux élèves (mis en binômes) de créer des énigmes à leur tour. Le projet de programme de Cycle 4 pour la rentrée 2026 imposera une progression de l’introduction des notions en fonction du niveau de classe. Peut-être que je rajouterai des énigmes dédiées à mes niveaux de classe afin de ne pas anticiper les notions de l’année suivante, mais Code en Bois fera encore partie intégrante de mon enseignement de la programmation ! »
En termes pédagogiques, un atelier d’algorithmique débranchée est assez différent d’un atelier sur ordinateur : lorsqu’on appuie sur « GO » dans Scratch, on ne sait pas ce qui se passe, et toute la partie importante de l’exécution va se dérouler en une fraction de seconde sans que l’élève s’aperçoive de rien. Sur du code débranché, il va devoir faire ce travail pas à pas. Comme il faut un élève pour lire le code et un autre pour l’exécuter au tableau avec les personnages aimantés, les instructions vont devoir être transmises oralement et cet exercice d’élocution participe à lever toute éventuelle ambiguïté dans le code : en effet, le résultat est très différent si l’on dit « répète 5 fois les actions avance et creuse », ou « répète 5 fois avance, répète 5 fois creuse ». On préconise d’ailleurs de faire lire un code par un autre élève que celui qui l’a écrit.

- Exécution du programme avec les personnages aimantés, au tableau
Les autres groupes ainsi que l’enseignant observent et surveillent la cohérence et l’absence d’erreur. Si l’erreur est détectée par celui qui lit (« répète… ah tu as oublié de mettre le chiffre de la répétition ! ») : c’est une erreur de syntaxe. Si l’erreur est détectée par celui qui est au tableau (ex : « impossible, je n’ai plus assez de munitions pour tirer ! ») c’est une erreur d’exécution. Les élèves comprennent vite qu’un « bug » est une erreur (presque toujours) humaine. Mais qu’une erreur est toujours une source d’apprentissage et un passage obligé, selon la tradition informatique bien connue qu’un code ne fonctionne jamais du premier coup !
L’attribution de rôles tournants à certains élèves vient étoffer cette implication de toute la classe : on se propose de nommer un responsable du compteur des répétitions (vérifier qu’on ne répète pas 6 fois quand on a mis un 5 sur la boucle), et responsable de chaque capteur : l’élève capteur de trésor doit, lorsqu’il est interrogé sur la mesure de présence d’un trésor sur la case, répondre par VRAI ou FAUX.
L’utilisation de briques de code, en particulier celles adaptées pour aimantation au tableau et avec des trous « ? », est pertinente pour travailler en pédagogie PRIMM (predict, run, investigate, modify, make), qui permet de concevoir des situations d’enseignement dans lesquelles les élèves s’engagent de manière progressive dans leur compréhension du code.




