Les nouvelles technologies pour l’enseignement des mathématiques
Intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques

MathémaTICE, première revue en ligne destinée à promouvoir les TICE à travers l’enseignement des mathématiques.

Mathématiques colorées et oeuvres Genially

Marie Darif évoque les ressources Genially qu’elle a créées et propose des mathématiques hautes en couleurs !

Article mis en ligne le 12 février 2021
dernière modification le 5 avril 2021

par Marie Darif, Patrick Raffinat

Marie Darif, professeure de collège, répond à une interview de MathémaTICE réalisée par Patrick Raffinat.

Les images figurant dans l’article sont cliquables, à commencer par celle ci-dessous qui donne un avant goût des ressources pédagogiques enthousiasmantes que Marie a développées avec le logiciel Genially [1].

Patrick Raffinat : Nous allons commencer par évoquer une de tes nombreuses ressources pédagogiques Genially où, dans un décor bucolique , de petites abeilles doivent déposer des « calculs décimaux » dans la ruche correspondante. Peux-tu préciser dans quel contexte est abordée cette activité et la réaction de tes élèves ? L’impact positif sur leur envie de faire des maths doit probablement être non négligeable...

Marie Darif : Oups ! Ton moteur de recherches m’a attribué une ressource Genially … qui n’est pas totalement la mienne ! Le lien donné dans ta question est en fait une adaptation par une collègue (Anne BREUZIN) d’un des mini-jeux que je propose sur ma classe virtuelle.

Cet exercice-là, nous l’avons d’abord fait ensemble en classe. J’ai laissé les élèves chercher les réponses sur leur cahier, et le jeu a permis de faire une correction interactive. Les élèves sont beaucoup plus volontaires pour venir glisser des abeilles dans des ruches que pour rédiger sur le tableau ! C’est plus ludique, et ça change de d’habitude.

J’ai ensuite partagé le jeu sur ma classe virtuelle pour que les élèves le retrouvent à la maison.

Des élèves qui n’avaient pas réussi l’exercice en classe m’ont dit plus tard avoir fait le jeu en ligne, et que cela les avait aidés à mieux comprendre. Cet exercice date de quelques mois déjà, mais certains élèves le refont parfois ! Il m’arrive de recevoir de leur part des captures d’écran d’exercices provenant de chapitres que nous avons fini depuis longtemps.

Moins inattendue mais toujours aussi élégante et avec un objectif mathématique clair, il y a la ressource intitulée « Jeu du « qui est-ce ? » géométrique ». Peux-tu nous la présenter avec ses deux variantes ?

Il s’agit de l’un de mes premiers Genially ! Je ne maîtrisais pas encore bien l’outil, mais je voulais adapter ce jeu de « Qui est-ce ? » que j’ai l’habitude de faire en classe depuis quelques années.

Dans la version « non interactive » du jeu, je projette les 22 objets géométriques, et j’envoie un élève au tableau. Je lui scotche une image dans le dos, et il doit poser des questions à la classe pour deviner de quel objet géométrique il s’agit. Ses camarades répondent sur ardoise par OUI ou NON. Le but est de découvrir l’objet en posant le moins de questions possibles. L’élève barre au fur et à mesure les objets qu’il élimine.

En adaptant ce jeu sur Genially, je permets à mes élèves de jouer contre l’ordinateur :

  • Dans la première version, l’ordinateur joue le rôle de l’élève qui est au tableau. Il est paramétré pour trouver rapidement l’objet géométrique, en posant le moins de questions possible.
  • Dans la deuxième version, l’ordinateur joue le rôle de la classe. Il connaît l’objet géométrique, et donne des indices pour le trouver.

Tu exploites aussi de nombreuses autres possibilités techniques de Genially, par exemple un jeu d’évasion où le petit chat Filou a disparu, un autre où il faut sauver les contes de fées… Mais comment fais-tu pour avoir cette imagination et, surtout, avoir les compétences pour la numériser ?

J’ai découvert Genially par hasard, sur le groupe facebook « le coin boulot des profs de maths », au moment du confinement. J’ai vu passer un escape game, je ne connaissais absolument pas l’outil et j’ai voulu creuser. Alors je me suis créé un compte (vers le mois d’avril). Mes premiers Genially étaient destinés à des élèves de GS et de CE2 !

Je m’étais déjà essayée à la réalisation d’escape game sur PowerPoint, donc je maîtrisais quelques bases. Le souci avec PowerPoint, c’est que c’est super compliqué à partager… Alors qu’avec Genially, un simple lien suffit. Au départ, j’ai été très inspirée par les escape game de Sylvain DUCLOS.

J’ai réellement compris le potentiel de Genially le jour où j’ai vu quelqu’un y insérer un fichier GeoGebra. Là je me suis dit qu’il fallait vraiment que je m’y mette ! On peut tout y intégrer. GeoGebra, Scratch…

J’ai rejoint le groupe facebook « enseigner avec Genially ». Et là ! Je suis devenue ADDICT ! J’ai créé plein d’autres jeux, dans lesquels j’insérais de LearningApps. Je ne savais pas encore créer d’exercices autocorrectifs sur Genially. Puis, j’ai découvert Patrice NADAM, membre du collectif S’cape, qui a commencé à créer des extensions à Genially, permettant une interactivité avec l’utilisateur qui n’existait pas avant (validation d’un texte tapé au clavier, drag and drop…).

Y-a-t-il un lien permettant d’accéder par niveau scolaire (ou par thématique mathématique) à toutes tes ressources Genially ?

Tous les Genially que je crée sont regroupés dans des « classes virtuelles ». C’est un concept qui commence à se répandre en Amérique. Nos collègues américains appellent ça des « Bitmoji Classroom ».

Je ne suis généralement pas très fan des sites web « classiques »… J’aime l’univers cartoon, avec des décors très colorés ! Et surtout, il fallait que mon site ressemble à ma classe. C’est le cas avec mon bitmoji, et les productions de mes élèves qui viennent régulièrement décorer les murs.

Sur ma classe virtuelle, l’ensemble des Geniallys que j’ai créés sont triés par niveau (je n’ai que des 6ème et des 5ème), et par chapitre. Les escape game qui regroupent plusieurs chapitres sont accessibles depuis le « hall », en cliquant sur la borne de jeux.

La classe virtuelle est entièrement personnalisable et évolue au fil de l’année. Les décors d’Halloween et de Noël ont été particulièrement appréciés des élèves. Le Genially qui a pour l’instant eu le plus de succès, c’est celui dans lequel les élèves devaient décorer le sapin de Noël virtuel. J’en ai fait un concours et le sapin gagnant a été publié par la direction du collège sur notre ENT (voir lien).

J’essaye de créer un « gros » escape game par mois. Les élèves peuvent accéder aux anciens jeux en cliquant sur les numéros qui sont en dessous (ils ont vu la cabane abandonnée, la maison de la sorcière, le parc d’attractions, le cirque, et la recette des sablés de Noël). Le prochain escape game sera sans doute publié pendant les vacances de Février.

Après Genially, nous allons maintenant parler de ton blog « La prof 2 maths », en commençant par les ressources mathématiques pour le cycle 3. Ce cycle se termine certes en 6ième, mais on voit que tu as aussi beaucoup oeuvré pour le CM1 et le CM2, ce qui est plutôt surprenant. D’où te vient cette attirance pour le Primaire ?

Déjà, j’ai toujours voulu enseigner. Toujours !

J’ai fait mon stage de 3ème dans l’école primaire qui était en face, et dès mon arrivée en seconde j’ai commencé à donner des cours particuliers aux gamins de mon quartier. J’ai donné des cours à Acadomia pendant tout mon cursus à la fac. Niveau primaire. Cela explique peut être aussi cet attrait que j’ai pour l’enseignement au 1er degré.

J’ai eu mon CAPES en 2009. Très rapidement j’ai développé une préférence pour les classes de 6ème. Je trouve que les élèves y sont beaucoup plus curieux et spontanés. J’ai donc commencé à me « spécialiser » sur ce niveau, en devenant professeure principale de 6ème, et en prenant une grande majorité de classes de 6ème (mon service en général c’est soit 6ème/5ème, soit exclusivement des 6ème).

J’ai toujours enseigné en REP, avec toutes les « problématiques » qui y sont liées. Je me retrouve donc régulièrement avec des élèves en grande difficulté. Cette année par exemple, 3 élèves non lecteurs dans une même classe…

Bien avant de découvrir Facebook (en 2017), j’ai trouvé sur Internet beaucoup de réponses à mes questions grâce aux forums comme « Neoprofs » ou aux blogs comme celui de Charivari, la classe de Mallory ou Bout de Gomme, qui sont tenus par des professeurs des écoles. Peu d’enseignants du secondaire tenaient des blogs à ce moment là. Et j’étais admirative de la créativité des professeurs des écoles.

Tu as donc dû particulièrement apprécier qu’une enseignante du Primaire écrive « Tu casses le stéréotype de la prof de maths ! Bravo pour ton travail coloré, gai, ludique et réfléchi pédagogiquement. » en commentaire pour une de tes activités ! Comme il y a aussi des enseignants du Primaire parmi les lecteurs de MathémaTICE, peux-tu nous décrire ce qu’on trouve dans cette rubrique ? Tu as carte blanche pour, après en avoir donné une vue d’ensemble, détailler une ou deux activités qui te tiennent à coeur…

On y trouve des ateliers de manipulations, des outils et des leçons.

J’y partage :

  • par exemple plusieurs ressources sur les fractions (lien) : des cartes à pinces pour reconnaître les fractions supérieures à 1, des puzzles dont les pièces sont les différentes écritures d’une fraction (nombre décimal, partage d’un disque, droite graduée)…
  • aussi des liens d’activités trouvées sur les sites d’autres collègues.

Ce blog, c’est (enfin c’était, car il est un peu à l’abandon…) un peu mon carnet d’inspiration.

Parmi les outils, on trouve un glisse-nombre en format silhouette studio. On en trouve un peu partout maintenant, mais celui-ci a l’avantage d’être découpé par une machine, ce qui permet d’en fabriquer rapidement une grande quantité. J’en donne un à chacun de mes 6ème lorsque l’on travaille sur les nombres décimaux.

A partir de 2017, ton parcours pédagogique déjà fort riche est boosté … par Facebook ! Sachant que le comité de rédaction de MathémaTICE n’est (à juste titre selon moi) pas toujours très tendre avec les GAFAM (voir notamment ce lien), il va peut-être falloir songer à mesurer nos paroles ! Une spécificité de ton « parcours professionnel Facebook » est que tu as non seulement été consommatrice, mais aussi productrice-animatrice...

En 2017, j’ai rejoint Facebook car je me suis inscrite à l’agreg interne et qu’on m’avait parlé d’un groupe de travail où les professeurs échangeaient des ressources. J’ai découvert un univers que je ne connaissais absolument pas : celui des groupes Facebook !

Rapidement, j’ai rejoint « le coin boulot des profs de maths ». J’ai été un peu déçue au début : quelques profs partageaient leurs ressources, souvent des fiches de cours, des exercices, ou des évaluations, mais généralement rien de « transcendant »… J’ai commencé à partager mes ateliers, mais ils étaient en format « silhouette studio » (ma machine de découpe) donc ils n’intéressaient pas grand monde. Alors j’ai rejoint un autre groupe : « Silhouett’instit ». Là, mes ateliers ont eu du succès, mais j’étais frustrée car les autres ateliers partagés étaient pour le primaire…

J’ai alors créé le groupe facebook « la silhouette des maths » ! Groupe qui compte actuellement 600 membres, et sur lequel j’ai eu le plaisir de rencontrer Mamzouille DUFOSSÉ (dont je ne connais que le pseudo sur facebook, bien que nous ayons beaucoup échangé elle et moi ces dernières années) et Aline BEGUE CREZE.

J’ai parlé à Aline du « coin boulot des profs de maths ». Elle ne connaissait pas. Elle s’y est inscrite et a partagé ses créations toutes plus sensationnelles les unes que les autres ! En quelques mois, le groupe avait complètement changé. Des activités colorées et ludiques ont fait leur apparition.

De mon côté, j’ai eu envie de partager les miennes alors j’ai créé le blog « laprof2maths », et dans la foulée le groupe facebook « ceintures de compétences : mathématiques ». Parce que partager tous ces ateliers n’avait pas beaucoup de sens si je n’expliquais pas la démarche dans laquelle ils s’inscrivaient. Aujourd’hui le groupe facebook « ceintures de compétences » compte plus de 1500 membres, mais je ne l’alimente plus. Le site non plus d’ailleurs. Il m’a cependant permis de faire de très belles rencontres, comme celle de Joan RIGUET.

Retour à ton blog, dont le contenu est antérieur à l’introduction récente dans tes enseignements de Genially et des classes virtuelles, qui ont sensiblement fait évoluer tes pratiques pédagogiques. Mais la philosophie de base reste la même, comme tu l’expliques aux parents d’élèves dans un Powerpoint intitulé « le système d’évaluations en cours de mathématiques ».

J’ai beaucoup échangé, dès 2012, avec Guillaume CARON, prof de maths qui tenait un blog sur lequel il racontait son expérience de classe coopérative (pratique des îlots et des compétences). Je me suis renseignée sur les îlots et me suis lancée dans l’expérience des îlots bonifiés de Marie RIVOIRE après avoir lu son livre. Je n’en étais pas pleinement satisfaite donc j’ai abandonné au bout d’un an.

Je me suis rendu compte à ce moment là que j’étais fâchée avec les « notes », donc j’ai axé mes recherches sur l’évaluation par compétences.

Là encore, c’est sur le blog de Guillaume CARON que j’ai trouvé ce que je cherchais. Je ne connaissais pas les ceintures de compétences, mais j’ai eu envie d’essayer, et j’ai vu que c’était une pratique assez répandue en primaire. Charivari, notamment, en parlait sur son blog.

J’ai donc mis en place les ceintures de compétences dans mes classes de 6ème, dès 2015. Je me suis assez vite retrouvée débordée car certains élèves stagnaient en ceinture blanche et je n’arrivais pas à les faire progresser. La ceinture blanche, en gros, c’était le niveau CM1. Il fallait maîtriser les opérations sur les nombres entiers, et certains élèves ne parvenaient pas à dépasser ce niveau, malgré plusieurs évaluations passées…

Changement d’établissement en 2016. Dans mon nouvel établissement, nous bénéficiions de demi-groupes une fois par semaine en mathématiques. J’ai décidé de re-tester les ceintures en mettant à profit ces demi-groupes pour faire de la différenciation à fond.

Comme les liens entre MathémaTICE, Sesamath et LaboMep sont très étroits, j’ai été instinctivement attiré par la dernière diapo du Powerpoint évoqué dans la question précédente : « des séances de soutien seront mises en place si un élève peine à passer un niveau de ceinture ; les tablettes mises à disposition des élèves leur permettront d’avancer à leur rythme sur le site « LaboMep ». Je crois donc que beaucoup de lecteurs voudront en savoir plus sur ce dispositif de soutien...

J’ai longtemps utilisé LaboMep comme support d’entraînement aux ceintures de compétences. C’était si l’on peut dire les prémices de ma « classe virtuelle » ! Je créais des séances en fonction des niveaux de ceinture de manière à pouvoir différencier en classe.

J’organisais régulièrement des séances de travail en salle informatique, pendant lesquelles chaque élève travaillait sur son niveau de ceinture. Les élèves pouvaient également retrouver ces séances depuis chez eux. L’avantage de LaboMep, c’est qu’il permettait un réel suivi des élèves. En quelques clics, il était possible de voir si l’élève avait fait et réussi suffisamment d’exercices de la séance avant de lui proposer une évaluation.

Malheureusement, les problèmes de compatibilité avec Flash m’ont fait abandonner LaboMep depuis…

Pour terminer cette interview, retour à la case départ avec Genially, raison pour laquelle tu avais été contactée suite au récent article de Juliette Hernando dans MathémaTICE. Lors de la préparation de l’interview, tu m’as appris que tu formais quelques élèves à la création de Geniallys...

Je découvre en même temps que mes élèves ce nouveau fonctionnement de classe virtuelle, et je constate que leur relation avec moi est très différente des années précédentes. Les élèves n’hésitent pas à m’envoyer des mails (beaucoup de mails !) pour me demander de l’aide, ou pour m’envoyer des captures d’écran de leurs réussites. Pour me demander d’ajouter des exercices aussi ! Ou pour me demander quel sera le chapitre suivant « pour prendre de l’avance ». C’est l’effet « bitmoji » je pense. Un élève m’a dit une fois en classe que « la prof » l’avait aidé à résoudre son exercice pendant le weekend. Il avait l’air surpris d’apprendre que derrière « la prof », c’était moi qui lui avait répondu !

Petit à petit, j’ai commencé à avoir en classe des questions sur Genially : « Madame, vous utilisez quel site pour faire vos exercices ? », « Madame, je me suis créé un compte chez moi, vous pouvez me montrer comment on insère une image ? »… Je me suis retrouvée à perdre 15 minutes sur chacun de mes cours pour leur montrer comment créer un compte, comment insérer une image, comment créer un LearningApps, l’insérer dessus… Puis les questions sont devenues plus pointilleuses. Comment est-ce qu’on met un cadenas numérique ? Comment fait-on pour glisser des éléments ?

J’ai alors monté un « atelier Genially ». J’accueille donc, depuis début janvier, 15 de mes élèves tous les jeudis midi pour leur apprendre à créer leurs propres jeux (15 élèves sur le papier, entre 20 et 25 en vrai car beaucoup d’élèves s’ajoutent lorsqu’ils ont un prof absent).


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